Respect de l’Etat de droit en Hongrie : l’UE impuissante

, par Théo Boucart

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Respect de l'Etat de droit en Hongrie : l'UE impuissante
De gauche à droite : le premier ministre slovaque Robert Fico, la présidente du conseil des ministres polonais Beata Szydło, le président du gouvernement tchèque Bohuslav Sobotka et le premier ministre hongrois Viktor Orbán. Réunion du groupe de Visegrad en 2015. CC Wikipédia

Le 17 mai 2017 est une date que les institutions européennes pourraient qualifier d’historique. Le Parlement Européen a en effet adopté une résolution relative aux atteintes à l’État de droit en Hongrie, pouvant mener à l’activation de l’article 7 du Traité de Lisbonne (TUE). Cependant, au-delà du fait qu’il soit très peu probable que Bruxelles inflige des sanctions politiques, cette procédure est révélatrice du « nain politique Europe »

La démocratie fait grise mine dans le pays de Sándor Petőfi et d’Imre Nagy. L’Union Européenne commence seulement à en prendre la pleine mesure et tente de défendre ses valeurs en menaçant le premier ministre hongrois Viktor Orbán d’imposer des sanctions à son pays par rapport à plusieurs lois liberticides votées ces dernières années. Le chef du gouvernement hongrois campe pourtant sur ses positions et divise les hommes politiques européens sur le bien-fondé de ces menaces.

L’article 7 du Traité de Lisbonne, qu’est-ce que c’est ?

Apparu pour la première fois dans le projet de constitution européenne de 2004 puis repris par le traité de Lisbonne en 2007, l’article 7 prévoit des sanctions à l’encontre de pays ne respectant pas les valeurs fondamentales de l’Union européenne, rappelées dans l’article 2 du même traité (la dignité humaine, la liberté, la démocratie et l’État de droit ainsi que les droits de l’Homme) [1]. Les principaux termes de cet article 7 se présentent comme suit :

  • Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.
  • Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.
  • Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil […].
  • Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures [2].
  • En avril dernier, le Parlement Européen avait convoqué le premier ministre hongrois pour qu’il s’explique sur les différentes lois (sur l’emprisonnement systématique des réfugiés, le contrôle renforcé des ONG bénéficiant d’aides étrangères et contre la Central European University) jugées contraires aux valeurs européennes. Devant l’obstination de l’homme fort de Budapest, ce même Parlement a voté une résolution pouvant mener à l’activation de l’article 7.

La procédure contre la Hongrie a très peu de chance d’aboutir

En dépit de la situation tendue en Hongrie, des sanctions effectives et contraignantes sont très peu envisageables, et ce pour deux raisons principales.

Premièrement, la complexité de l’article 7 et la multiplicité des acteurs institutionnels concernés rend son utilisation difficile et extrêmement lente. L’unanimité requise au Conseil Européen réduit très largement la possibilité de succès de la procédure car la Pologne (elle aussi visée par Bruxelles concernant l’État de droit) et probablement la République Tchèque et la Slovaquie (elles aussi hostiles aux politiques de relocalisation des réfugiés) devraient voter contre l’enclenchement de l’article 7 concernant la situation hongroise.

Deuxièmement, les institutions européennes elles-mêmes sont partagées quant à cette procédure. Lors du vote parlementaire le 17 mai, le Parti Populaire Européen, le groupe auquel le Fidesz (le parti de Viktor Orbán) appartient a été fortement divisé sur le vote de la résolution (107 députés pour / 92 contre) [3]. De plus, la Commission et le Conseil européens ne semble pas vouloir recourir à des sanctions à cause de la division des Etats membres sur le sujet.

La faiblesse politique de l’Union Européenne

L’article 7 du traité de Lisbonne, de par sa complexité et la part donnée aux intérêts nationaux (via le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne) est un instrument juridique lourd et inefficace malgré son caractère innovant. Le fait qu’une procédure visant la Hongrie, qui multiplie depuis plusieurs années les lois anti-démocratiques et les provocations vis-à-vis de l’UE, ne soit enclenchée que maintenant témoigne de marges de manœuvre plus que réduites.

La divisions des institutions, de la presse et des partis européens montre en outre que Bruxelles a du mal à être ferme sur ses propres valeurs à l’intérieur de son propre territoire. Le fait que les critères de Copenhague (relatifs aux valeurs démocratiques de l’UE) ne soient coercitifs que lors de l’adhésion d’un pays et ne fassent pas l’objet de réexamens réguliers (contrairement aux règles budgétaires) montre que l’Union européenne a encore énormément de chemin à parcourir pour acquérir la légitimité nécessaire auprès de ses citoyens pour réaliser l’union politique indispensable dans le monde instable qui est désormais le nôtre.

L’Union européenne est-elle enfin décidée à agir selon ses propres valeurs en autorisant le lancement d’une procédure de sanctions à l’égard de son État membre le plus récalcitrant ? Si l’article 7 du traité de Lisbonne est à la base une bonne idée, sa complexe mise en œuvre et le poids trop important des intérêts nationaux en font un instrument difficilement malléable. L’unanimité au Conseil Européen doit être supprimé en attendant une réforme plus ambitieuse, à savoir l’utilisation de l’article 7 exclusivement par la Commission européenne (après l’approbation du Parlement Européen) qui, jusqu’à preuve du contraire, est l’unique gardienne des traités européens.

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