Restrictions de liberté : focus sur la subversion de la presse publique et du système judiciaire en Pologne

, par Meray Maddah, Traduit par Leslie Kaberenge

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Restrictions de liberté : focus sur la subversion de la presse publique et du système judiciaire en Pologne
Manifestation contre les réformes du système judiciaire polonais, 2017. Photo : Sakuto // Flickr (CC BY-ND 2.0)

La Pologne fait depuis longtemps les gros titres de la presse internationale, écrite comme en ligne, et particulièrement en Europe. Le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), est au centre d’une polémique qui agite les sphères politiques européennes et internationales. En cause : le nombre incalculable de lois qui sapent les normes partagées par les États membres de l’Union européenne.

Pour comprendre la situation actuelle de la Pologne, il faut revenir aux événements qui lui ont valu la une de la presse ces dernières années. En 2015, lors des dernières élections parlementaires, le PiS remportait la majorité à la chambre basse du Parlement, le Sejm. C’est la première fois depuis la démocratisation du pays en 1989 qu’un parti se retrouve seul à la tête du Parlement.

Après deux années tumultueuses à la tête du parti, Beata Szydło, la candidate ultra-conservatrice, perd une motion de défiance lancée par les partis de l’opposition et présente sa démission. Elle sera remplacée par le vice Premier ministre Mateusz Morawiecki, bien connu pour son rôle de ministre des Finances et du Développement et tête pensante du parti en ce qui concerne les questions économiques.

Le parti nationaliste de droite a étendu sa sphère d’influence à l’intérieur des branches étatiques polonaises. En outre, il a apporté son soutien implicite à des voix autoritaires en matière de politique nationale, détériorant ainsi la force de la Constitution polonaise et du pouvoir judiciaire soi-disant indépendant. Dans un pays où prévaut une interprétation très spécifique des valeurs catholiques, ces mesures malveillantes ont eu des retombées sur l’une des questions les plus controversées et prisée des conservateurs : les droits des femmes en matière de procréation et les lois sur l’avortement.

Cet article explore en détail les actions menées par le PiS et certains de ses alliés. Il aborde également l’indifférence envers la notion démocratique de séparation des pouvoirs, et met l’accent sur la branche judiciaire prétendument indépendante, le respect de l’État de droit en Pologne et les atteintes à la liberté de la presse. Enfin, un second article de notre auteure met en lumière les restrictions sur les droits reproductifs qui ont abouti à la remise en question de la légalité-même de l’avortement.

Subversion du pouvoir judiciaire et de la presse publique

L’un des débats centraux concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis d’institutions comme le Tribunal constitutionnel. Selon un rapport détaillé d’Amnesty International paru à la mi-2017, le PiS a orchestré une série de lois controversées qui menacent l’indépendance de la branche judiciaire, des juges et des assistants de justice qui ont un rôle de supervision et d’aide lors de différentes procédures judiciaires.

Comme l’indique le rapport, de nombreuses modifications et projets de loi ont été portés devant le Parlement. Parmi ceux-ci, quatre auront un impact sur l’autonomie du pouvoir judiciaire polonais. La première d’entre elles, relative à l’Ecole Nationale de la Magistrature et du Parquet, a été adoptée en juin 2017. Elle comporte des incidences susceptibles d’affecter les procédures de nomination des juges. Cette loi controversée propose que les assistants de justice puissent remplacer les juges en leur absence. Certains qualifient ce projet de tentative sauvage d’obstruction de la crédibilité et de la responsabilité des juges. On craint aussi qu’il n’affaiblisse la légitimité du Conseil national de la magistrature (l’organe constitutionnel qui garantit l’indépendance du système judiciaire).

La loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, adoptée par le Sejm en août 2017, propose que le ministre polonais de la Justice, également procureur général, ait le pouvoir de nommer les présidents et vice-présidents de tribunaux. Conformément à cette nouvelle loi, ces nominations et ces décisions ne pourront faire l’objet d’aucun recours devant un tribunal.

Le président polonais, Andrzej Duda, membre du PiS et disposant de pouvoirs exécutifs très étendus, a toutefois opposé son veto à deux propositions de loi. Ces dernières auraient forcé les juges de la Cour suprême à démissionner et leur remplaçants auraient été sélectionnés par le ministre de la Justice. L’autre projet aurait conféré aux membres nommés par le gouvernement un droit de veto au Conseil national de la magistrature, qui sélectionne des candidats indépendants pour remplir des fonctions judiciaires. Les deux projets de loi ont été renvoyés devant le Parlement. Dès lors, tout veto opposé par le Président pourra être rejeté par une majorité qualifiée de 60 %. Le PiS ne disposant que d’une faible majorité au sein du Sejm, il devrait former des alliances avec des membres d’autres partis afin de rassembler un nombre de votes suffisant pour rejeter le veto du Président. Ces actions sont intervenues après que l’Union européenne ait suggéré que certaines mesures, dont les « actions et sanctions légales », pourraient être appliquées au pays si l’État de droit et l’indépendance du système judiciaire venaient à être menacés davantage.

Des manifestants, désireux de montrer leur enthousiasme au veto opposé par le président Duda, l’ont encouragé à faire de même pour d’autres lois. Si elles entraient en vigueur, ces lois pourraient bouleverser le système judiciaire polonais et ainsi menacer la légitimité et l’image du PiS, et ce en dépit du succès populaire du candidat du parti aux dernières élections. D’après le rapport de Freedom House sur la Pologne, même si l’évaluation globale indique que le pays est libre, il n’est en fait que "partiellement libre" en ce qui concerne la liberté de la presse et obtient un score de 2,57 sur une échelle de 1 à 7 (7 étant la moins bonne note).

L’Union européenne et les États-Unis ont exhorté à ce que le contrôle de la liberté de la presse en Pologne soit soumis à des normes démocratiques plus nombreuses et rigoureuses. Les lois susmentionnées, en plus de s’attaquer au système judiciaire polonais, ont ignoré les nombreuses critiques qui s’expriment depuis longtemps sur le parti, le fait qu’il bouleverse le Conseil national de la magistrature, et son influence sur la nomination des juges en fonction de ses préférences politiques. Dans la presse publique, financée par l’État, les articles dénonçant les atteintes à la liberté d’expression ont été qualifiés de « propagande » contre la trajectoire actuelle de l’État. En ce qui concerne les chaines d’information, des interviews ont révélé des changements depuis la montée au pouvoir du PiS. La chaine publique Telewizja Polska par exemple, a adopté un ton différent dans ses reportages sur l’Union européenne et l’Allemagne.

D’après le dernier rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, la Pologne est tombée à la 58ème place sur 180 pays, alors qu’elle occupait la 15ème place en 2015. Face aux standards de reportage des médias publics, les chaînes privées remettent en question les actions du gouvernement et des services de sécurité. Elles suivent également les manifestations contre l’ingérence de l’État dans la liberté de la presse et les obstructions à la propriété étrangère d’agences de radiodiffusion.

En octobre 2017, un rapport de Human Rights Watch avait révélé d’autres atteintes à la liberté de la presse imputables au PiS. D’après l’ONG, en vertu d’une réforme de la loi sur les médias datant de 2015, le ministre des Finances et du Trésor d’État aurait « le pouvoir de nommer les dirigeants des médias du service public, éclipsant le Conseil national de radiodiffusion, l’organe de régulation qui s’en chargeait jusqu’alors ». Cet écartement du processus de décision du Conseil, un organe impartial et politiquement neutre, a depuis été jugé anticonstitutionnel par le Tribunal constitutionnel.

Récemment, des juges âgés de plus de 65 ans sont partis en retraite forcée et 27 nouveaux juges ont été nommés. Ces deux événements, depuis rejetés par la Cour européenne de justice, ont été qualifiés par beaucoup de geste réactionnaire et discutable en réponse à la désapprobation de l’UE du traitement de l’état de droit à Varsovie. La volonté du gouvernement d’engager des actions aussi controversées aura un impact qui ne se limitera pas à l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais se traduira par la réduction des libertés, des droits civiques et des valeurs européennes que la Pologne doit à ses citoyens.

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