La richesse de notre séjour dans ce « pays » tout à fait particulier ne nous donne pas la possibilité de tout dire dans un seul article. Celui-ci sera donc le premier volet d’un récit en deux parties...
Bosnie : concentré d’Europe ! Voilà ce qui me vient à l’esprit après avoir quitté ce « pays ». Et l’analogie est la même avec l’ex-Yougoslavie.
En effet, on assiste, avec les guerres des années 1990, à une sorte « d’histoire européenne », mais à une échelle géographique et temporelle bien plus réduite.
La Bosnie-Herzégovine, un concentré d’Europe
Les nations de cette fédération vont acquérir leur indépendance par la guerre (si ce n’est l’exception récente du Monténégro) et l’idée nationale sera à l’origine de nombreux déplacements de population et même de nettoyages ethniques. Rien de très « original » au regard de l’histoire européenne !
Pourtant, pour les européens de l’ouest, où l’idée nationale est tout de même arrivée à un stade de maturité nécessaire pour enfin commencer la construction de l’Union européenne, ce qui c’est passé en ex-Yougoslavie dans les années 1990 est tout à fait incompréhensible.
Mais c’est sans penser qu’en Europe centrale et orientale, les nations n’existent pas depuis plus de 200 ans comme la France.
Pour la plupart elles n’ont quasiment jamais eu l’occasion d’exister, toujours conquises ou occupées par d’autres empires (turc, russe, allemand, français, etc) et certaines n’ont réellement jamais existé en tant que nation (Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Kosovo, etc).
De plus, à bien comparer, il aura suffit d’une quinzaine d’année à l’ex-Yougoslavie pour réaliser ce que les européens de l’ouest ont mis plus de 150 ans à effectuer, à grands coups de conflits jusqu’au bouquet final des deux guerres mondiales. En fait, les « barbares » des Balkans ne tiennent pas la comparaison avec les prouesses guerrières et destructrices de l’Europe de l’ouest pendant ces deux derniers siècles.
In varietate, Concordia ?
Pour revenir à la Bosnie-Herzégovine, ce petit « pays » est, de manière étonnante, une sorte de « petite ex-Yougoslavie » à lui seul. Car ce n’est pas vraiment un pays. C’est plutôt une ex-région de l’ex-Yougoslavie, composée, comme nous le dira un élève, de « trois nations et trois vérités ». En effet, la Bosnie-Herzégovine est divisée en deux parties.
La première partie, Fédération croato-musulmane (en bleu, ci-contre), est majoritairement composée de Bosniaques (le plus souvent de confession musulmane) et de Croates (le plus souvent de confession catholique).
La seconde partie est la République serbe de Bosnie (Republiqua Srpska) (ci-contre, en rouge), majoritairement composée de Serbes (le plus souvent de confession orthodoxe).
Le pays fût le plus durement touché par les guerres balkaniques. En Bosnie-Herzégovine, la guerre a commencée, officiellement, le 6 avril 1992, faisant plus de 220 000 morts, donnant lieu à de nombreux nettoyages ethnique (massacre de Srebrenica, etc) et la paix règne, enfin, depuis les accords de Dayton en 1995.
Mais ces accords ont entériné la division ethnique du pays et ce dernier est toujours une sorte de colonie, de protectorat européen où le représentant de l’ONU qui dirige le pays détient un pouvoir quasi absolu. Enfin, la force militaire de 6000 hommes qui se trouve sur place, dirigée par l’Union européenne - l’EUFOR - a pour mission de maintenir l’ordre.
Une sorte de protectorat onusien géré par l’UE
Sur ce dernier point, à bien y réfléchir, la situation est « paradoxale ». Vous vous déplacez dans un minuscule pays où trois entités, trois religions, qui avaient réussies à vivre ensemble dans la tolérance se retrouvent gouvernées par l’Union européenne, composée de pays qui vivent enfin dans la concorde après plusieurs siècles de haine réciproque.
Pour vous donner un exemple, lorsque nous nous retrouvons à Mostar, nous déambulons dans une ville où cohabitent les ruines, les églises catholiques et les mosquées ainsi que les soldats de l’EUFOR tantôt marqués par l’écusson français, allemand, belge ou encore espagnol.
Et vous pouvez payer en monnaie croate, bosniaque et même en euro... un « melting pot européen » tout à fait inédit ! Cette situation particulière nous fait réaliser d’une tout autre manière ce que veut dire « la communauté internationale ».
Pendant les deux semaines que nous passerons en Bosnie-Herzégovine, nous croiserons de nombreux soldats et convois de l’EUFOR, toujours avec des drapeaux différents : anglais, allemand, roumain, suédois, turc, espagnol, italien, autrichien, finlandais, ONU (Organisation des Nations Unies), OSCE (Organisations pour la Sécurité et la Coopération en Europe), UNHCR (Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies), etc.
On a, effectivement, l’impression que le monde entier est ici ! Et de même pour les dons. Rien qu’à Mostar vous trouvez le « Vieux pont », financé assez largement, un autre vieux pont financé par le Luxembourg, un centre de jeunesse par l’Espagne, les bains publics par l’Italie, les mosquées par la Turquie ou l’Arabie saoudite, etc. On peut alors ressentir cette situation du point de vue d’un autochtone et c’est vrai que l’on se sent « occupé ». Mais comme c’est une occupation « multicolore », cette dernière reste acceptable. Même si, à dire vrai, on attend tout de même avec impatience le départ des « internationaux ».
Questions sans réponse
Pendant notre séjour nous nous posons tout de même deux questions auxquelles il est difficile de trouver des réponses satisfaisantes. La première concerne le mélange incroyable de population. Quelle histoire, quels événements ont contribué à aboutir à cette situation où tant de populations différentes cohabitent sur un espace si réduit ?
La seconde question reste la plus délicate, la plus mystérieuse et concerne tous les êtres humains de tout temps et de tous continents. Comment arrive-t-on à une situation de conflit, de haine de l’autre, d’extermination ethnique entre des populations qui entretenaient autrefois des liens de tolérance et même d’amitié ? Quelle étrange mécanique fait ressurgir à la surface la bête qui sommeille en chacun de nous ? (Pour cette dernière question je ne m’aventurerai pas à tenter une explication tant le développement serait long et fastidieux).
Pour la première question, un constat s’impose. A bien regarder un atlas historique, on constate que la Bosnie-Herzégovine marque l’extension ultime de l’Empire ottoman, une sorte de frontière entre catholiques de l’empire austro-hongrois et musulmans.
C’est un lieu de friction entre grands empires, comme l’Europe centrale en général. Mais pour la Bosnie-herzégovine c’est tout à fait particulier. Une sorte d’épicentre où se rencontrent les grandes influences religieuses : catholique, orthodoxe et musulmane.
Réinventer le vivre ensemble dans ce « pays » est un challenge de taille tout à fait symbolique. Si l’Union européenne souhaite sincèrement réaliser une union démocratique multiculturelle, ce dont elle n’a pas vraiment le choix si elle veut subsister et se renforcer, c’est à cet endroit de l’Europe qu’il faut chercher des solutions.
Sarajevo, nouvelle Jérusalem ?
Je me prends d’ailleurs à un comparatif osé mais qui me semble pourtant porteur de sens. Si vous prenez le cas de Jérusalem, il est tout à fait certain que trouver la clé du vivre ensemble à cet endroit sera un progrès fantastique pour l’avancement de la paix et du respect identitaire dans le monde.
Si on me demandait un jour de choisir la capitale de la futur fédération mondiale (on a bien le droit de rêver à des choses tout à fait réaliste), je n’aurais pas l’ombre d’une hésitation, mon choix serait Jérusalem !
Mais, bien entendu, je ne pense pas qu’il faille une seule capitale pour le monde, Jérusalem ne représentant pas assez l’Asie, par exemple. Quant à l’Europe il en va de même.
Or nous avons en Europe une petite Jérusalem qui s’appelle Sarajevo. Et si vous y réfléchissez bien, cette ville où vous trouvez une foule de mosquées, d’églises catholiques et orthodoxes, et qui a subit un terrible siège de plusieurs années, se trouve à la confluence de trois grandes religions matrices de l’Europe.
Eviter le choc des civilisations
Aujourd’hui se pose la question des frontières, la question du l’essence même du projet européen. Vue comme la question de la Turquie dérange, tout comme celle de l’immigration, on ne peut que se rendre à l’évidence : la religion musulmane dérange !
Pour la majorité des européens chrétiens, un musulman n’est pas un européen, à part si il est discret et ne demande pas la permission de construire des mosquées.
A ce petit jeu les européens passent à côté d’un des points clé de leur identité et prennent un chemin tout tracé, celui du repli identitaire. Nous savons tous où cela va nous mener et le « choc des civilisations » ne sera sans doute plus une idée abstraite.
Que veut-on faire de l’Europe ? Une grande nation chrétienne ou « le lieux privilégié de l’espérance humaine » (préambule de la Constitution), celui de la démocratie et du respect des Droits de l’homme, de la concorde et de la prospérité ?
Voilà la nature du projet européen et celui-ci nécessite de l’audace, de la confiance et de l’ouverture... et beaucoup de travail !
Que veut-on faire de l’Europe ?
Si l’Europe des six avait choisie, comme une évidence, Bruxelles et Luxembourg pour capitales, donc les pays les plus petits et qui représentent tous deux une excellente synthèse des six pays de l’époque, il faut comprendre que pour la « grande Europe », ces deux capitales ne sont plus vraiment « adaptés ».
A moins que « l’Est européen » ne continue d’être une sorte d’extension de l’ouest. Au risque de complications futures intenables et, une fois de plus, de rater l’objectif fondateur européen. Si l’Union européenne doit s’étendre jusqu’à la frontière russe et à la Turquie, le changement de nature est plus que conséquent.
Il y aura alors au minimum neuf pays à majorité orthodoxes [1] qui représentent une population de plus de 100 millions de personnes, auxquelles il faut ajouter toutes les minorités orthodoxes dans les autres pays européens.
Et du côté musulman, il y aura quatre pays [2] qui représentent une population de près de 80 millions d’habitants, auxquels il faut rajouter les très nombreux musulmans présents dans les autres pays européens [3]. Je précise tout de même (même si c’est une évidence) que tous les orthodoxes ne sont pas les mêmes, tous comme les musulmans et tout comme un catholique français est bien différent d’un catholique slovaque ou encore espagnol.
Sarajevo, la ville du vivre ensemble européen ?
Durant notre cours séjours à Sarajevo, j’ai eu l’occasion de déambuler dans l’immense cimetière qui se trouve légèrement en périphérie. C’est l’un des plus impressionnants et des plus beaux que j’ai vu.
Il s’étend sur les deux flancs d’une colline, avec une nette démarcation entre les tombes musulmanes, très sobres, dont la pierre tombale est toujours blanche et les tombes chrétiennes, à l’allure beaucoup plus imposante, toujours de couleurs grises ou noires.
Au milieu de cette étendue déconcertante, se trouve un sanctuaire en forme d’arc de cercle. Ce dernier est composé de sorte d’alvéoles, dont cinq plus importantes, chacune d’entre elles surmontés d’un symbole religieux différent : l’étoile juive, la croix catholique, une rose (j’avoue mon ignorance sur la signification de ce symbole), la croix orthodoxe et le croissant musulman.
C’est devant cet édifice surprenant que je n’ai pus m’empêcher de penser que c’est dans cette ville, carrefour des religions - carrefour européen par excellence - que le challenge du « vivre ensemble » est le plus prégnant.
Alors Sarajevo, ville meurtrie et consubstantiellement multiethnique, comme l’une des futurs nouvelles capitales européennes, porteuse de sens pour réinventer le vivre ensemble de la futur réalité de l’Union européenne ?
Cela me semble tout à fait cohérent et... audacieux. A l’image du projet européen.
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