Politique migratoire britannique : l’étau se resserre pour les migrants dans la Manche
Le 20 juillet dernier Gérald Darmanin et son homologue britannique se rencontraient lors d’une vidéoconférence pour “lutter contre l’immigration clandestine trans-Manche“ au lendemain d’une journée record en termes de traversées illégales de cette frontière. A la suite de cette discussion, une déclaration conjointe était adoptée par les deux pays, laquelle prévoyait entre autres : Que la France double ses effectifs de policiers et de gendarmes le long de la côte ; Qu’elle déploie plus de technologie pour limiter les franchissements, notamment par la surveillance aérienne ; Qu’elle investisse dans des équipements de sécurisation de la frontière pour éviter les franchissements par voie routière ; Enfin qu’elle investisse dans ses centres d’accueil de migrants afin d’offrir aux migrants une autre solution que la traversée de la Manche. En échange de ces efforts, le Royaume-Uni s’engageait à investir 64,5 millions d’euros sur la période 2021-2022 pour aider la France dans sa lutte contre l’immigration irrégulière.
Cette demande britannique de renforcement des moyens à la frontière française intervient au moment où un texte de loi appelé Nationality and Borders Bill est discuté à Westminster. Ce texte prévoit une refonte du système d’asile britannique dans le but de dissuader les migrants de traverser la Manche en small boats, ces canaux de fortune parfois utilisés pour rejoindre le Royaume-Uni. En cas d’adoption de ce texte par le Parlement britannique, il deviendrait compliqué pour les migrants transitant par la France de trouver l’asile au Royaume-Uni. Tout migrant ayant une “connexion avec un État tiers sûr“, pourrait en effet voir sa demande d’asile déclarée comme “inadmissible“. Les États membres de l’Union européenne étant qualifiés d’États tiers sûrs, il deviendrait complexe pour beaucoup de migrants arrivant par la mer de trouver l’asile légalement au Royaume-Uni. Cela aura sûrement pour conséquence collatérale l’augmentation du nombre de traversées illégales.
Le Borders Bill augmente également les peines encourues pour ceux qui entrent illégalement et/ou permettent les entrées illégales sur le territoire britannique de 6 à 12 mois de prison pour les premiers, et de 14 ans à la perpétuité pour les seconds. De plus, le Borders Bill prévoit un traitement différencié des réfugiés en fonction de la façon dont ils sont arrivés au Royaume-Uni, notamment dans leur hébergement. On peut y voir une volonté de punir ceux qui feraient le choix d’une entrée illégale sur le territoire, jusque dans le traitement de leur demande d’asile. Le texte prévoit par ailleurs d’habiliter les autorités compétentes à “arrêter, aborder, dérouter ou détenir“ toute embarcation qui leur paraîtrait suspecte d’opérer une traversée illégale de la frontière britannique.
Or ce dernier point a justement été remis sur la table par Priti Patel ces dernières semaines. Selon l’agence de presse britannique Reuters, la secrétaire d’État à l’Intérieur aurait validé un plan qui permettrait aux garde-côtes britanniques de renvoyer en France les small boats provenant de ses côtes et qui entreraient dans les eaux territoriales britanniques (push back). Dans un tweet publié le 14 septembre l’organisation Channel Rescue, organisation de contrôle des droits de l’Homme dans la Manche, affirme avoir des preuves que les garde-côtes britanniques s’entraînent effectivement à détourner des petites embarcations.
Sur la vidéo et les photos publiées sur Twitter par Channel Rescue il est difficile de décrire précisément les manœuvres qui sont opérées par les jet-skis et les bateaux clairement identifiés comme appartenant à la Border Force, mais le paratexte décrit des mouvements d’encerclement, caractéristiques de la méthode push-back. Sur une vidéo publiée par SkyNews sur son site internet, on voit plus distinctement les manœuvres d’encerclement et de détournement auxquelles s’entraîne la Border Force.
La décision britannique d’appliquer ce moyen de renvoi des migrants, bien évidemment décriée par l’opposition et les associations de défense des migrants, fait suite à l’accord passé au mois de juillet dernier entre la France et la Grande-Bretagne visant à réduire le nombre de traversées illégales de la Manche. Or le nombre de traversées depuis le mois de juillet et ce fameux accord n’a pas spécialement baissé. Le 21 août, près de 828 migrants rejoignaient les côtes britanniques, un record. Le 6 septembre, 785 d’entre eux y parvenaient. Priti Patel était déjà sous pression d’une opinion publique qui avait voté, en 2019, pour reprendre le contrôle de ses frontières. Et les 12 000 migrants qui avaient déjà traversé la Manche en au mois de juillet 2021 (bien plus que durant toute l’année 2020) n’ont pas facilité sa position. Sa crédibilité étant entachée, celle-ci tenait à taper du poing sur la table en annonçant coup sur coup le Borders Bill, la menace de suspension des subventions pour la France et la stratégie du push back, afin de montrer à l’opinion publique que le contrôle des frontières était bel et bien au cœur de son agenda politique.
Le gouvernement français invoque le droit de la mer
Le gouvernement français n’a bien évidemment pas tardé à réagir à ces différentes annonces par la voix de son Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, homologue de Priti Patel. Dans un tweet datant du 9 septembre celui-ci déclarait : “La France n’acceptera aucune pratique contraire au droit de la mer, ni aucun chantage financier“, ajoutant dans une lettre à son homologue britannique qu’en “mer, la sauvegarde de la vie humaine prime sur des considérations de nationalité, de statut et de politique migratoire dans le strict respect du droit international maritime qui organise la recherche et le sauvetage en mer“.
Une pratique inhumaine
Cette pratique du pushback est inhumaine. Les individus risquant d’être refoulés par les garde-côtes naviguent le plus souvent dans des embarcations de fortune qui menacent de se renverser lors des opérations de déroutement par les jet-skis britanniques par exemple. Mais plus grave encore, ces embarcations une fois détournées devront rebrousser chemin et à nouveau traverser la Manche, l’un des corridors maritimes les plus empruntés du monde et donc les plus dangereux. En renvoyant les embarcations de fortune à leur point de départ, les autorités britanniques mettent donc la vie de femmes, d’enfants et d’hommes en danger. Cette décision est d’une cruauté incommensurable. Et en plus d’être inhumaine, celle-ci est également totalement illégale, comme le souligne à juste titre Gérald Darmanin dans ses différentes communications. L’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, ratifiée par le Royaume-Uni le 25 juillet 1997, prévoit que chaque État exigera de ses bateaux qu’ils “prête[nt] assistance à quiconque est trouvé en péril en mer“. En détournant puis en renvoyant les small boats, le Royaume-Uni ne prête évidemment pas assistance à l’embarcation en question. Bien au contraire, il la met en péril.
La France, critique de circonstance de la politique migratoire de la Grande-Bretagne, n’est pas exempte de tout reproche en matière d’assistance portée aux migrants en détresse. On se souvient de l’épisode de l’Aquarius en 2018. Ce navire de sauvetage de SOS Méditerranée en manque de vivres avait erré pendant près d’une semaine le long des côtes européennes avec à son bord plus de 600 personnes dans la chaleur du mois de juin. La France d’Emmanuel Macron ne s’était pas montrée à la hauteur de son surnom de “Patrie des Droits de l’Homme“. Ce dernier s’était terré dans un silence coupable pendant de nombreux jours avant de le rompre, une fois que l’Espagne accepta d’ailleurs le navire, en dénonçant, cyniquement, le “cynisme“ et “l’irresponsabilité“ du gouvernement italien de l’époque. De la même manière, la politique de harcèlement conduite par Gérald Darmanin à l’égard des migrants depuis son arrivée à la Place Beauvau, entre démantèlements successifs des camps et interdictions de distribution de nourriture à ces derniers, pose des questions quant à la sincérité des sentiments éprouvés par la Ministre dans ses déclarations à l’égard de la vie des migrants.
Promesses britanniques d’accueil de migrants afghans
Cynique, Priti Patel l’est également : au moment même où elle érige une forteresse à la frontière franco-britannique par ses récentes décisions, elle vante l’hospitalité du Royaume-Uni vis-à-vis des Afghans. Le gouvernement britannique, représenté par Dominique Raab, Leo Docherty, et Priti Patel exaltait dans une vidéo les mérites de l’Operation Warm Welcom (Accueil Chaleureux), opération visant à évacuer les Afghans ayant rendu des services et travaillé pour la couronne britannique en Afghanistan, ou étant considérés comme vulnérables (femme, filles, membres de minorités ethniques, religieuses et de la communauté LGBT+). Ce plan aurait permis à plus de 15 000 afghans de trouver refuge au Royaume-Uni depuis le 13 août. Le double jeu de Priti Patel sur la question migratoire, entre l’inhumanité des mesures prises concernant la Manche, et les bras ouverts aux Afghans ces dernières semaines démontrent bien la situation politique délicate dans laquelle elle se trouve, mais également le peu de considération qu’elle porte aux questions d’éthique et d’humanité. Celle-ci aura joué sur les sentiments d’un électorat de Boris Johnson qui demandait plus de fermeté quant au contrôle des frontières britanniques, mais s’émouvait dans le même temps de la situation des Afghans après le retour au pouvoir des Talibans, et ce au détriment potentiel de vies humaines. Ce double jeu, bien que décrié par une partie de l’opposition et des associations de défense des droits humains, aura fonctionné sur le plan politique. Priti Patel a en effet été reconduite par Boris Johnson lors du dernier remaniement ministériel, le 15 septembre dernier.
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