Un soutien complet versus une participation plus large ?
La question du nombre de participants était cruciale pour le succès du sommet, mais délicate pour l’Ukraine. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky voyait en ce sommet une occasion d’obtenir un soutien pour sa Formule de paix et de faire valoir ses engagements.
Cette formule, rendue publique lors du sommet du G20 en novembre 2022, comprend 10 dispositions. La première disposition concerne la sécurité nucléaire. Elle se concentre sur la centrale nucléaire de Zaporijia, occupée par la Russie depuis mars 2022. La sécurité du plus grand site nucléaire d’Europe est désormais menacée, car la Russie l’a transformé en base militaire en y déployant des combattants, des armes et en minant la région. De plus, elle bombarde les villes voisines de Nikopol et Marganets depuis le territoire de la centrale nucléaire. En raison de l’activité militaire russe, l’approvisionnement en électricité de la centrale depuis le côté ukrainien est régulièrement interrompu, mettant ainsi en danger le refroidissement des réacteurs nucléaires.
Une autre question importante concerne la sécurité alimentaire. L’Ukraine est depuis longtemps considérée comme un pilier de la sécurité alimentaire dans de nombreux pays du monde, grâce à son exportation alimentaire traditionnellement puissante. En 2021, la contribution de l’Ukraine au marché alimentaire mondial équivallait à nourrir environ 400 millions de personnes. Malgré le fait que les forces militaires aient réussi à reprendre le contrôle de la partie occidentale des eaux ukrainiennes de la mer Noire, cette voie navigable indispensable à l’exportation ukrainienne reste risquée. De plus, les actions militaires russes menacent de compromettre la campagne de semis en Ukraine, ce qui entraînerait la famine pour des millions de personnes en Afrique et au Moyen-Orient. Il est donc essentiel de garantir la libre circulation, la sécurité et la pleine navigation dans les mers Noire et d’Azov, de rétablir le contrôle souverain de l’Ukraine sur ses ports, de créer de nouveaux ports et d’élargir la gamme de produits ukrainiens transportés par voie maritime.
Un autre problème abordé dans la Formule de paix ukrainiene est la sécurité énergétique. Les infrastructures énergétiques sont considérées comme critiques dans tous les pays. La Russie attaque régulièrement les infrastructures énergétiques ukrainiennes, en particulier pendant l’hiver, en utilisant le froid comme une arme contre les civils. Par conséquent, il est impératif d’établir et de garantir une surveillance constante ainsi qu’un suivi international de la sécurité des infrastructures énergétiques de l’Ukraine.
L’Ukraine demande également la libération de tous les prisonniers de guerre et le retour des enfants ukrainiens déportés en Russie. La restauration de la frontière russo-ukrainienne telle qu’elle était avant 2014 est absolument indispensable pour rétablir une paix durable et respecter le droit international. Le retrait des forces militaires russes de l’Ukraine et la cessation des hostilités sont également requis par le plan de paix. La demande ukrainienne de création d’un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre russes, évaluer les dommages écologiques et poursuivre les responsables suscite des débats parmi les pays non-occidentaux, mais est considérée comme indispensable par les Ukrainiens pour assurer la sécurité en Europe.
Enfin, l’Ukraine préconise la conclusion d’un traité international juridiquement contraignant qui établirait des garanties de sécurité contre la menace russe.
Certaines de ces dispositions semblent trop ambitieuses, voire irréalistes, aux yeux des représentants du Sud global. L’Ukraine s’est donc retrouvée face à un dilemme : limiter le nombre de participants aux pays occidentaux qui soutiennent pleinement ce projet, ou rassembler le plus grand nombre possible de pays, mais avec des visions plus variées de la fin de la guerre en Ukraine. Finalement, l’Ukraine a opté pour la seconde option. Elle souhaitait élaborer un plan concret et réaliste pour la paix. De plus, la Suisse, pays hôte du sommet, a insisté pour que les participants ne soient pas limités par le plan ukrainien et qu’ils essaient de mettre en commun toutes les propositions existantes. Les points communs à tous les plans sont la sécurité alimentaire et nucléaire, ainsi que les questions humanitaires.
Finalement, 93 pays et 8 organisations internationales ont pris part au sommet. Parmi les participants figuraient également les principales institutions européennes : le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen, représentés respectivement par Charles Michel, Ursula von der Leyen et Roberta Metsola. C’est un bon résultat pour l’Ukraine, d’autant plus que l’Occident ne représentait que la moitié des participants. Cela a permis des discussions qui n’étaient pas faciles pour l’Ukraine, mais indispensable pour sa diplomatie.
Par exemple, le président argentin Javier Milei, tout en soutenant la Formule de paix ukrainienne, a suggéré que l’Ukraine devrait construire des relations pragmatiques avec la Russie. De même, le ministre des Affaires étrangères turc, Hakan Fidan, a exprimé sa conviction que le sommet « serait plus axé sur les résultats si la Russie était parmi les participants ».
Il ne faut pas oublier le discours du président kényan, William Ruto, qui a dénoncé l’invasion russe de l’Ukraine tout en qualifiant l’utilisation unilatérale des avoirs russes d’« illégale ».
À plusieurs reprises pendant le sommet, l’Ukraine a constaté que la guerre dans un pays européen n’est pas une préoccupation majeure pour de nombreux pays.
Cependant, il est important de noter que certains pays n’étaient pas représentés, notamment la Russie, à l’origine de cette guerre, qui n’a pas été invitée. La Chine, qui a dénoncé cette décision, n’a pas envoyé de représentants, tout comme de nombreux pays africains, l’Azerbaïdjan et les pays d’Asie centrale. En revanche, les pays du BRICS, à l’exception de la Russie et de la Chine, étaient présents : le Brésil et l’Afrique du Sud en tant qu’observateurs, et l’Inde en tant que participant.
Le communiqué final
Dans le communiqué final du sommet, les propositions ukrainiennes ont tout de même été prises en compte. Par exemple, la situation de la centrale nucléaire de Zaporijia a été abordée dans le contexte de la sécurité nucléaire. De plus, la nécessité de maintenir les exportations de céréales ukrainiennes a été confirmée. Le communiqué a également appelé à un échange complet de tous les prisonniers de guerre, ainsi qu’au retour des enfants et d’autres Ukrainiens déplacés et illégalement détenus.
La partie ukrainienne s’est montrée satisfaite du contenu du communiqué, comme l’a confirmé le président ukrainien Volodymyr Zelensky. En revanche, certaines délégations de pays participants ont jugé ces formulations trop fermes. Quelques grandes nations du Sud global, telles que l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et le Mexique, ont refusé de signer le communiqué. Néanmoins, ce document reste ouvert aux signatures même après la fin du sommet, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir d’autres signatures dans le futur.
Le résultat mitigé du sommet
Comme nous l’avons constaté, le sommet n’a pas abouti à la paix en Ukraine. Cependant, cela n’était pas son objectif initial. Le président russe Poutine n’est toujours pas disposé à répondre aux exigences énoncées dans le communiqué. Malgré cela, selon V. Zelensky, l’Ukraine envisage d’organiser un autre sommet pour la paix dans les prochains mois, où la Russie sera très probablement invitée.
Pour l’instant, les préparatifs en vue d’un véritable processus de paix sont en cours, ce qui donne à l’Ukraine le temps et les opportunités nécessaires pour obtenir un soutien militaire et politique international.
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