Super Ligue européenne de football : Quand la Cour de Justice européenne s’en mêle…

, par Florian Pileyre

Super Ligue européenne de football : Quand la Cour de Justice européenne s'en mêle…
Image : Pixabay

Véritable séisme dans le monde footballistique, le projet jusque-là avorté de Super Ligue européenne de football a dépassé les carcans du sport pour avoir aussi des répercussions sur ceux du droit et plus globalement des problématiques européennes avec la saisie de Cour de Justice européenne (CJUE) en mai dernier. Les spécialistes du droit du sport ont tous en tête la révolution provoquée par l’arrêt Bosman en 1995. Amenée à se prononcer sur le conflit autour d’un championnat fermé transnational, la CJCE pourrait-elle de nouveau chambouler le paysage footballistique, sportif voir européen ?

La chaine de télévision belge RTBF a révélé le 15 mai dernier que le juge d’instruction Manuel Ruiz de la Lara du Tribunal de commerce de Madrid a soulevé auprès de la Cour de Justice Européenne une question préjudicielle. Celle-ci vise à déterminer si l’UEFA et la FIFA, consécutivement l’organisme de représentation des fédérations de football européennes et l’organisme des fédérations nationales de football dans le monde, ont été en situation d’« abus de position dominante » dans le projet avorté d’une Super League européenne des clubs de football.

Revenons quelque peu en arrière pour recontextualiser la bombe médiatique du projet de douze grands clubs européens de football qui, après avoir annoncé la création d’un championnat fermé des mastodontes footballistiques, a provoqué la levée de bouclier des supporters, des clubs plus modestes, des fédérations nationales et même l’intervention de l’Union Européenne pour dénoncer ce qui serait une tentative d’assassinat du football populaire. Finalement, face au tollé médiatique, neuf des douze clubs fondateurs du projet se sont retirés en l’espace de vingt-quatre heures. Seul trois clubs dits « dissidents », le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus ont refusé d’abandonner le format de la Super League, bien conscients des sommes astronomiques en jeu, surtout dans une période de crise économique dans le monde du football, impacté par la crise sanitaire. L’UEFA et la FIFA en réponse ont décidé de poursuivre en justice les trois clubs séparatistes et multiplient les menaces de sanctions comme celle d’une exclusion des prochaines éditions de la prestigieuse et lucrative Ligue des champions.

Le Traité sur le fonctionnement de l’UE invoqué

La saisie de la CJUE n’a rien de banal et pourrait révolutionner le paysage footballistique européen. En effet, par le passé, la justice européenne avait déjà chamboulé ce domaine, en 1995 via l’arrêt Bosman. La jurisprudence européenne de l’arrêt Bosman avait fait sauter les verrous de la limitation du nombre de ressortissants européens au sein des clubs européens et avait initié ce qui serait l’ère du « football business ».

Dans le cas du litige juridique, on se rapporte aux articles de 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) liés à l’interdiction des monopoles. En ce sens, le juge espagnol fait référence à ces deux articles du TFUE pour savoir si « une autorisation préalable (…) est nécessaire pour qu’une troisième entité lance une nouvelle compétition de clubs paneuropéenne comme la Super Ligue ». Dans ce cas-là, les sanctions de l’UEFA et la FIFA seraient caduques. Ceci n’a rien d’anodin puisque les sanctions disciplinaires prévues par les deux organisations pouvaient aller jusqu’à l’exclusion de compétitions en cours ou futures et une interdiction d’exercice dans le milieu footballistique pour les dirigeants des clubs concernés.

Dans sa question préjudicielle Manuel Ruiz de la Lara s’appuie sur l’article 101 qui mentionne l’interdiction des pratiques « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de réfréner ou de falsifier le jeu de la concurrence au sein d’un marché ». En somme, de l’eau bénite pour les clubs dissidents qui pourraient finalement redéposer le sujet de la Super Ligue sur la table. Mais pas totalement, puisque d’une part, le paragraphe 3 de l’article 101 mentionne l’existence d’exceptions et que d’autre part, le projet en l’état se retrouve sur le format d’une ligue fermée. Ce qui constitue par nature un frein à la concurrence potentielle du marché et au choix du consommateur.

Outre la saisie de la CJUE, le juge s’est également intéressé à souligner l’intervention du monde politique européen dans la condamnation du projet de Super Ligue européenne. Margarítis Schinás, vice-président grec de la commission européenne s’était exprimé en janvier 2021 dans le journal américain Politico jugeant ce projet incompatible avec l’idée d’un sport qui se veut universel. « Il n’est pas question que quelques-uns déforment la nature universelle et diverse du football européen. Le mode de vie européen n’est pas compatible avec un football européen réservé aux riches et aux puissants. Nous devons protéger notre modèle sportif européen, qui repose sur un équilibre avec les compétitions nationales, et qui vise à assurer le développement du football de manière ouverte et non-discriminatoire. » L’homme politique grec évoque même la possibilité d’amender les textes européens contre un projet qu’il estime néfaste à la « solidarité dans le sport européen  ».

Un épisode pas sans conséquences pour l’UE ?

Par conséquent, le projet tant polémique a le mérite de questionner sur la place du sport dans les compétences et politiques européennes. Jusque-là, l’Union européenne ne dispose que d’une compétence d’appui dans le domaine du sport, soit une compétence qui relève majoritairement des États membres mais dans lequel l’Union Européenne peut intervenir en complément.

La création d’une Super Ligue européenne pourrait donc marquer un nouvel approfondissement des compétences de l’Union Européenne dans le domaine du sport. En effet, jusqu’à présent les compétitions sportives sont majoritairement ancrées sous forme de championnats nationaux avec également des compétitions européennes. Dans ce cadre, le projet de Super Ligue européenne marquerait une certaine révolution, compte tenu du fait qu’émergerait un championnat de football non plus national mais transnational qui regrouperait certains clubs d’une poignée de pays européens. Dans un secteur qui pèse environ entre 3,4% et 3,7 % du PIB européen, l’Union Européenne pourrait, dans le futur, voir ses compétences accrues dans le domaine du sport en termes de régulation, libre-concurrence ou protections des licenciés.

En définitive, l’affaire médiatique autour du projet de Super Ligue européenne de football est et sera intéressante à suivre. On peut y voir une tendance progressive à la « dénationalisation » ou à la « transnationalisation » du sport et de ses compétitions (par exemple le projet de fusion du championnat belge et néerlandais prend de l’ampleur et pourrait aboutir dans les prochaines années). Le domaine du football et plus globalement du sport pourrait constituer un nouveau « laboratoire de l’approfondissement européen », qui en cas de succès, pourrait insuffler un nouvel élan dans la construction européenne et l’approfondissement de l’Union. Ce potentiel nouvel horizon européen sera à scruter de près en ce qui concerne les prochaines politiques européennes en matière de sport qui seront prises ou non. Un baromètre de la politique sportive européenne sera justement examiné avec en autres le retour des Jeux Olympiques sur le sol européen, douze ans après ceux de Londres, à Paris en 2024.

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