Sylvie Goulard : « J’ai rejoint Emmanuel Macron pour sa vision de l’Europe »

, par Geoffrey Besnier

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Sylvie Goulard : « J'ai rejoint Emmanuel Macron pour sa vision de l'Europe »
Emmanuel Macron et Sylvie Goulard lors d’une conférence organisée à Sciences Po Crédit : Yann Schreiber (Twitter : @yannschreiber)

Sylvie Goulard, députée européenne de l’Alde (Alliance des démocrates et libéraux en Europe) et soutien d’Emmanuel Macron, a répondu aux questions du Taurillon sur le programme pour l’Europe du fondateur du mouvement En Marche.

Le Taurillon : Pourquoi avoir été une des premières au Modem à rejoindre Emmanuel Macron, bien avant le ralliement de François Bayrou ?

Sylvie Goulard : D’abord, les femmes peuvent réfléchir par elles-mêmes (rires). Plus sérieusement : j’ai rejoint E. Macron dès le printemps dernier pour sa vision de l’Europe, son ouverture internationale, parce que l’avenir de la France passe par la relance du projet européen et un engagement accru de la France en Europe.

Jeunesse

Emmanuel Macron s’est prononcé pour l’élargissement du programme Erasmus, notamment aux apprentis. Cela existe pourtant déjà, quelle est la nouveauté ?

S.G : L’idée est d’élargir le nombre et l’origine des participants. D’une part, le nombre d’étudiants concernés en fait encore un cursus relativement fermé. Il faut d’autre part l’élargir à des jeunes qui sont en écoles professionnelles, en apprentissage, etc. Nous ne prétendons pas tout inventer, c’est l’ambition du programme Erasmus + (jadis Leonardo) mais nous entendons aller plus loin.

Nous pourrons travailler avec les régions qui sont responsables de la formation professionnelle et des lycées afin de faire voyager beaucoup plus de jeunes. J’observe, dans ma circonscription, le rôle positif de certains lycées professionnels. Ce n’est pas évident, ne serait-ce que pour des questions linguistiques. Il est plus facile de sauter le pas pour un jeune qui a déjà beaucoup voyagé et un bon niveau de langue que pour un apprenti qui n’a pas ces expériences. On peut aussi voir les choses en sens inverse. Si on leur donne aussi des occasions de bouger, on peut avoir des jeunes qui travaillent plus leur anglais.

En tout cas, il ne s’agit pas de décider entièrement à Paris ou à Bruxelles ce qui est bon pour les jeunes. Il faut impliquer les chefs d’établissement, les enseignants, les jeunes eux-mêmes, avec les régions pour monter des projets.

Contrairement au programme Erasmus, on n’entend pas parler du service civique européen, cela peut-il être un outil ?

S.G : Ça peut l’être, bien sûr. Mais l’élection présidentielle n’a pas pour objectif de fixer le détail de tout. Le Président de la République est là pour définir un cap : accroître la mobilité des jeunes. Pour les modalités, il y a une multitude d’initiatives à valoriser. Et ce sera fait en temps voulu.

Institutions

Justement, une des grandes propositions d’Emmanuel Macron est de constituer des assemblées citoyennes pour déterminer des lignes directrices pour l’UE. Ce qui est aujourd’hui dévolu au Conseil Européen serait demain directement délégué aux citoyens ?

S.G : Il s’agirait de réunions dans tous les territoires, avec une dimension transnationale. Par exemple, les réunions françaises pourraient réunir d’autres européens. L’idée est d’inviter les populations à débattre de l’Europe. L’objectif n’est pas forcément de rédiger un nouveau traité, mais de donner aux gens l’occasion de faire remonter un certain nombre d’idées, de se poser un certain nombre de questions. Le caractère transnational est très important parce que si vous faites une série de discussions cloisonnées sur l’Europe, chacun restant dans son pays, vous risquez de voir les clichés renforcés avec dans le Sud « c’est la faute des Allemands », dans le Nord que « c’est la faute de l’Europe du Sud », etc.

Le but est de surmonter les préjugés, de laisser le peuple se réapproprier l’horizon européen. Ces discussions ne doivent pas obligatoirement déboucher sur un nouveau traité, ni se borner à invoquer les institutions. Le débat pourrait porter sur le moyen de rapprocher le citoyen des institutions, d’améliorer les échanges humains, d’inciter les Européens à regarder ce qui « marche » ailleurs. Quels sont les sujets prioritaires pour les gens ? Par exemple est-ce l’environnement, le numérique ? Il faut se donner cette capacité d’écouter la population car elle a des choses à dire, c’est ce que je sens quand je vais sur le terrain.

M. Macron est un des premiers à dire clairement que lorsque l’on élit le Président de la République française, on élit aussi le représentant de la France au Conseil européen. En quoi est-il important de le dire ?

S.G : Emmanuel Macron a compris qu’il faut changer profondément la manière dont on conçoit les rapports entre le pouvoir national et le pouvoir européen. Il assume que, dans la fonction du Président de la République française, il y ait aussi ce rôle européen. Cela suppose que le Président de la République rende plus de comptes sur ce qu’il fait au niveau européen. Le détail n’est pas encore arrêté mais il y a plusieurs possibilités. Par exemple, le Président pourrait s’exprimer devant le Congrès avant ou après les Conseils européens. [1]

Des efforts sont aussi requis de la part du législatif. On l’a vu avec le CETA. Il est particulièrement choquant que les Parlements nationaux ou régionaux se réveillent en fin de parcours alors qu’ils sont censés contrôler en continu l’action du gouvernement national (fédéral). Ce sont ainsi les ministres du commerce extérieur des Etats membres qui donnent mandat à la Commission et suivent l’évolution des négociations. Donc si le Parlement national remplit sa mission de contrôle de l’exécutif, il peut alerter en amont voire retirer sa confiance au ministre national, tenu alors d’exprimer son désaccord à la Commission européenne. Cela doit se faire au fur et à mesure des négociations. A la fin d’un processus de plusieurs années, c’est un peu tard : on prend en otage le pays tiers avec lequel on a discuté.

Economie

Emmanuel Macron est favorable à la création d’un budget de la zone euro géré par un gouvernement de la zone euro. Qui le composerait ?

S.G : Nous n’avons pas parlé de « gouvernement de la zone euro » mais d’un ministre des finances. [2] Il faut avancer pas à pas. Pour l’instant, la zone euro n’a même pas un responsable identifié. Deux commissaires se partagent les compétences, sans compter le président de l’Eurogroupe qui lui, n’est responsable devant aucune autorité européenne.

L’idée n’est pas de faire de grands changements institutionnels mais de modifier résolument les pratiques. Rien n’empêche la désignation d’une personnalité qui pourrait être à la fois le Président de l’Eurogroupe et un membre de la commission européenne.

Cette personnalité doit accepter une responsabilité plus grande devant le Parlement européen (ou, mieux un Parlement de la zone euro qui en serait issu). Là encore, bien des progrès pourraient intervenir de manière pragmatique. Le « dialogue monétaire » avec la BCE se fait sur une base informelle. M. Draghi et avant lui M. Trichet, viennent tous les trois mois au Parlement européen sur la base d’un arrangement non-écrit. Ainsi, on peut améliorer les choses sans se lancer dans de grands chantiers institutionnels.

Quelles ressources pour le budget de la zone euro ? Que financerait-il ?

S.G : Il n’y aura pas de budget de la zone euro si nous ne restaurons pas la confiance mutuelle à l’intérieur de l’UE. Les Allemands (et les partenaires du nord) ne contribueront pas à un budget de la zone euro si la France rechigne à respecter ses engagements ou l’Italie ne règle pas le problème de ses banques. Seul plus de sérieux permettra plus de solidarité.

Une fois ce préalable clarifié, un accord pourra émerger autour d’une certaine capacité contributive conjointe, de manière à mener des politiques communes. Ce budget pourrait permettre de financer des investissements d’avenir, des aides à la mobilité ou encore des stabilisateurs automatiques conjoncturels. Le détail importe moins que l’orientation générale, à ce stade. En tout cas, il ne s’agit pas de mutualiser des dépenses du passé mais de se tourner en commun vers l’avenir.

Emmanuel Macron parle dans son livre Révolution d’un plan d’investissement plus puissant que le plan Juncker mais qui serait composé de subventions et non de prêts notamment sur les investissements d’avenir (énergies renouvelables, éducation, réseaux fibre, etc.). Seulement de tels subventions existent déjà dans le cadre de programmes européens comme Horizon 2020 ou Connecting Europe Facilities (CEF). Quelle est la nouveauté ?

S.G : Au-delà de la nouveauté, le besoin se fait sentir de mettre les dispositifs en perspective et de leur donner un sens, tout en les faisant connaître. Il arrive assez souvent, en France notamment, que le public ignore à quel point des projets sont financés par des fonds européens. Dans ces cas, les citoyens ignorent ce que l’UE fait pour eux. Quand on parle du « plan Juncker », en dehors des cercles d’initiés, personne ne sait ce que c’est.

Il y a une question de montant et une question de dénomination. Il faut peut-être rassembler ces programmes, leur donner plus de cohérence et définir les propriétés plus clairement. Un plan d’investissement doit être extrêmement ciblé, limité dans la durée, et il doit répondre à des priorités bien définies. Ce sont les grands principes à rappeler. Pour le détail, il faut le déterminer avec nos partenaires européens. Cependant, le plan Juncker a déjà changé les mentalités. Avant 2014, il n’y avait guère de souci d’investissement dans la réponse à la crise.

Environnement

Une des cibles prioritaires de ces investissements est l’environnement. Comment mener une politique environnementale européenne efficace ?

S.G : Ce qui est certain, c’est qu’il faut tenir les objectifs liés au climat et que la société se mobilise dans ce sens également. C’est ce que montre le film Demain de Mélanie Laurent. Vous pouvez passer tous les accords climat que vous voulez, si vous n’avez pas des municipalités qui trient les déchets et des gens qui changent leur habitude de mobilité, vous n’arriverez pas à grand-chose.

Le climat est une urgence qui appelle à la fois des décisions des responsables politiques au plus haut niveau mais aussi des changements de mentalité.

Mais que peut faire l’UE ? La mesure la plus emblématique, le système d’échange de quotas d’émissions, qui est un marché des droits à polluer, est un échec avec des fraudes et pas de véritable impact sur la baisse des émissions.

S.G : Le système est en train d’être réformé, le Parlement européen s’est prononcé sur les échanges de quotas récemment. Tout le monde a conscience qu’il y a eu des problèmes sur le marché du carbone.

La transition énergétique fera également partie des 3 priorités du plan d’investissement national prévu dans le programme d’E. Macron. Les investissements dans ce domaine vont être accélérés en prenant en compte non seulement l’aspect environnemental mais aussi social, par exemple l’isolation de logements bon marché.

Après l’élection de Trump l’environnement est en train de devenir un enjeu énorme pour la planète et c’est une possibilité pour l’Europe de faire valoir sa différence.

Est-ce que justement l’environnement ne devient pas plus un enjeu de diplomatie que de politique interne alors que l’UE ne représente aujourd’hui que 11% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et que cette part va encore diminuer ?

S.G : Chacun doit faire sa part ; des engagements ont été pris à la COP21 et il faut s’y tenir. Il est vrai que, dans la durée, les grands émetteurs ne sont plus en Europe. Mais nous avons contribué au stock de carbone. Et le mode de vie chez nous et aux USA reste pour l’instant plus nocif que dans bien des pays émergents.

Comment inciter les pays tiers à réduire leurs émissions ? Êtes-vous par exemple favorable à la création d’une taxe carbone européenne sur les importations de produits polluants ?

S.G : Il ne faut pas prendre l’exigence française pour celle de toute l’Europe. Certains collègues au Parlement européen sont extrêmement réticents dès que l’on parle de taxer les produits étrangers à l’entrée de l’UE. Toutefois, l’idée progresse, notamment comme ressources propres de l’UE ; le récent rapport Monti l’a rappelé.

Numérique

Autre filière d’avenir, le numérique revient souvent dans le programme d’Emmanuel Macron comme un relais de croissance et une opportunité de création d’emploi. Au niveau Européen, le débat est en ce moment sur la création d’un marché unique du numérique afin de lever les barrières à l’émergence d’un Google européen. Comment vous positionnez vous sur ce débat ?

S.G : Nous croyons profondément que le grand marché de plus de 500 millions de consommateurs est un atout économique pour les entreprises qui, sont toutes amenées à utiliser le numérique. Il n’y aura pas de lois numériques françaises, celles-ci doivent être faites au niveau européen. C’est vraiment un sujet de marché intérieur qui ne peut pas être uniquement discuté au niveau français.

Faut-il consacrer la liberté de circulation des données comme 5e liberté fondamentale de l’UE comme le demande notamment le gouvernement estonien ?

S.G : La problématique de protection des données, de leur circulation et de l’accès aux données est essentielle. Est-ce qu’il faut en faire une 5e liberté ? Nous n’avons pas pris position là-dessus. La question n’est pas seulement de définir une 5e liberté c’est de lui donner un contenu et d’être certain qu’il corresponde aux enjeux. Attention au nominalisme qui a caractérisé beaucoup de politiques en Europe : des mots sans que le contenu suive. Il faut d’abord travailler avec les opérateurs et les fournisseurs d’accès pour faire sauter les barrières.

Interview réalisée le 24 février 2017

Notes

[1Ndlr. C’est ce que fait notamment Angela Merkel, la Chancelière allemande.

[2Ndlr. Emmanuel Macron parle dans son livre Révolution d’un ministre des finances de la zone euro et d’une assemblée parlementaires de la zone euro rassemblant tous les parlementaires européens des Etats membres de l’espace monétaire européen.

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