Sylvie Goulard : « Ne pas céder à la nostalgie souverainiste »

, par Le Taurillon en Provence

Sylvie Goulard : « Ne pas céder à la nostalgie souverainiste »
Sylvie Goulard est députée européenne depuis 2009, membre du groupe ALDE et du groupe Spinelli. Elle a présidé le Mouvement européen de 2006 à 2010. - Alberto Novi

« Pour peser dans la politique internationale, pour défendre nos valeurs, il nous faut nous organiser autrement et ne pas céder à la nostalgie souverainiste ». Ce sont les mots de Sylvie Goulard qui a accordé une interview à notre comité de rédaction local d’Aix-en-Provence.

Quelles sont les principales idées et convictions de votre groupe politique (ALDE) au Parlement européen ?

ALDE signifie l’ « Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe ». Les derniers termes sont les plus importants : « pour l’Europe ». Ce groupe, profondément européen, se fixe pour objectif de faire avancer la construction européenne en se situant au centre de l’échiquier politique. Il y existe une grande diversité, mais les membres sont tous rattachés aux idées du libéralisme politique, telle la liberté d’expression. Plus concrètement, nous prônons des idées progressistes sur le plan des libertés individuelles, tout particulièrement sur les questions d’égalité homme-femme ou de discrimination envers les homosexuels. C’est en ce sens que le groupe ALDE repose sur le libéralisme politique.

Le terme de libéralisme est trop galvaudé, toujours considéré comme une sorte de diabolisation idéologique. Néanmoins, nous ne faisons pas abstraction de la dimension économique. À cet égard, nous défendons l’initiative individuelle, la possibilité d’entreprendre, d’investir sans excès pour promouvoir l’économie sociale de marché posée par les traités. Le parti est présidé par Guy Verhofstadt, grand européen et ancien premier ministre belge.

Quel est votre point de vue sur la composition de la nouvelle Commission européenne ? Que pensez-vous de la nomination de Pierre Moscovici au poste de commissaire aux Affaires économiques ?

La Commission est ce qu’elle est en vertu des traités et ce qu’en font les États membres. Le traité de Lisbonne avait réduit le nombre de commissaires puisque la Commission a vocation à être un organe indépendant, neutre et porteur de l’intérêt général. Malheureusement, et sous la présidence française en décembre 2008, le système a été maintenu pour obtenir le vote des Irlandais sur le traité de Lisbonne.

Mais il y a eu plusieurs avancées. D’abord, le président de la Commission européenne est élu par le Parlement européen en fonction du résultat des élections. Mais celui-ci n’est pas complètement libre de choisir les commissaires. Si certains pays ont joué le jeu, comme l’Italie sur la parité homme/femme avec l’envoi d’une femme de la génération Erasmus, Federica Mogherini, d’autres ont envoyé des anciens ministres. C’est contestable, car la Commission n’est pas un « Conseil bis » et n’a pas besoin d’être politisée. Ensuite, Jean-Claude Juncker a pris au sérieux l’exigence de coordonner 28 personnes en créant des postes de vice-présidents. J’ai cependant des réserves sur la manière dont les compétences sont réparties notamment en matière économique.

Concernant Pierre Moscovici, il faut savoir que le pouvoir est partagé entre lui et deux vice-présidents. En dépit de plusieurs demandes de notre part, nous n’avons pas eu de réponse sur la façon dont aller se passer les choses entre eux. En interne il faudrait identifier clairement les responsabilités de chacun. En externe, il faudrait savoir qui représente quelle zone. Cela dit, donnons leur une chance.

La France a envoyé 24 députés du Front National au Parlement européen au cours des dernières élections européennes. Comment peut-on lutter contre les eurosceptiques ?

Je suis quelqu’un qui respecte la démocratie. La vraie question est la suivante : comment en est-on arrivé là, en France, dans le pays qui a créé l’Union européenne ? Il y a d’abord un travail d’instruction civile qui devrait être fait par le ministre de l’Intérieur. Il y a ensuite un malaise profond dans le pays. Lors de ces élections, les citoyens ont rejeté le gouvernement en place alors que tel n’était pas le sujet.

Ma préoccupation va au-delà des députés d’un parti. Dans les cinq dernières années on a renforcé les pouvoirs de la Commission européenne dans le contrôle du budget, mais personne n’assume ce jeu collectif. Si l’on écoute les discours nationaux, les responsables entretiennent un discours souverainiste complètement dépassé. Nous avons une monnaie commune, nous avons des intérêts communs et nous avons intérêt à ce qu’il y ait des procédures collectives. À cet égard, la déclaration du premier ministre à l’Assemblée Nationale « la France décide seule » est choquante !

Ensuite, les partis eurosceptiques ne proposent rien. S’il faut les combattre, c’est principalement parce que leur plan pour l’avenir n’est absolument pas adapté au XXIe siècle. Face à la mondialisation, face aux questions environnementales, face à la montée en puissance du reming be, face au dollar, la France ne peut pas être seule. Pour peser dans la politique internationale, pour défendre nos valeurs, il nous faut nous organiser autrement et ne pas céder à la nostalgie souverainiste. Le retour au franc serait-il bénéfique ? L’arrivée au pouvoir du FN signifierait en partie la ruine des épargnants par la dévaluation qu’il propose. C’est la raison pour laquelle, en plus des considérations idéologiques, il faut combattre le Front National.

La Commission européenne doit-elle écouter les revendications françaises et italiennes en changeant le cap de sa politique économique ?

La réponse est complexe. Oui et non. L’Europe risque la stagnation et la déflation, un scénario qui était totalement exclu lorsque l’on a conçu les instruments de gestion de l’euro. Tout l’appareil intellectuel et toutes les règles dont nous disposions pour gérer la monnaie avaient pour objectif de lutter contre l’inflation et partaient de l’idée que nous aurions 3% de croissance annuelle. Mais je déplore certains éléments dans la manière dont agissent les deux gouvernements : il y a un mélange entre le débat de fond et une espèce de contestation fanfaronne du jeu collectif qui est à mon avis la meilleure manière pour les Allemands de refuser totalement la discussion de fond.

L’Union européenne est fondée sur des règles. Il y a un contrat de base : le traité. Quand vous contestez l’existence des règles, vous détruisez la confiance mutuelle. Or, à Paris et à Rome un certain nombre de personnes n’ont pas le bon logiciel pour faire bouger les choses. Par exemple, en France, on conteste la réduction de la dépense publique improductive. Si, évidemment, le but d’une société n’est pas de faire des économies, la France vit au-dessus de ses moyens. On a dépassé les 2000 milliards de dette ! Il serait irresponsable de dire que l’on peut s’affranchir des réformes structurelles et des réformes publiques, pour se gargariser du modèle social alors qu’il n’y a plus de modèle social. Le système est devenu très conservateur : il protège une minorité de privilégiés. Si l’on faisait ces réformes, ces pays seraient plus crédibles pour porter une parole à Bruxelles, car souvent, ce sont les pays dans lesquels on parle le plus que l’on agit le moins.

Suite au refus de la Grande Bretagne de payer une rallonge budgétaire, pensez-vous qu’il serait plus opportun de construire une Union européenne sans elle ?

Il est très souhaitable que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. L’Union européenne est un projet mondial, et, selon que le Royaume-Uni en fasse partie ou non, la crédibilité internationale est différente. De l’autre coté, le Royaume-Uni a des raisons objectives de rester dans l’Union, mais David Cameron s’y est mal pris pour que le Royaume-Uni demeure un Etat membre. Promettre un référendum et imposer la réforme de l’Union comme condition n’aboutiront à rien. Le Royaume-Uni est en train de scier la branche sur laquelle il est assis. Le malaise en Grande Bretagne vient du fait que, paradoxalement, les Anglo-saxons sont restés à l’extérieur de la zone euro et, par-là se sont condamnés à être sur le banc de touche.

Version abrégée de l’interview publié dans le Taurillon en Provence de janvier, l’édition locale des Jeunes Européens d’Aix-en-Provence. Une interview réalisée en octobre 2014.

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