Sylvie Guillaume : « L’Europe d’aujourd’hui, ce n’est pas celle que je défends au quotidien »

, par Alexandra Volou

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Sylvie Guillaume : « L'Europe d'aujourd'hui, ce n'est pas celle que je défends au quotidien »
Vice-présidente du Parlement européen, Sylvie Guillaume (S&D) est l’une des parlementaires françaises les plus influentes à Strasbourg et à Bruxelles. - (EuroparlTV)

Dans une interview pour la rédaction du Taurillon, Sylvie Guillaume, vice-présidente du Parlement européen, revient sur les dossiers brûlants de l’actualité européenne. Brexit, crise économique et financière, situation sociale, question des réfugiés et remise en cause de l’Union européenne y sont abordés.

Le Taurillon : Le 23 juin 2016, les Britanniques choisiront de demeurer membre de l’Union européenne ou de la quitter. Quel serait le coût - politique et économique - pour l’Union européenne d’un possible « exit » du Royaume-Uni ?

Sylvie Guillaume : « Ce que j’ai trouvé très frappant dans la manière dont s’est organisée cette consultation, c’est que finalement David Cameron demande à l’UE de répondre à des questions sans que lui n’apporte aucun élément étayant son questionnement.

Quand il parle par exemple de la zone euro, en essayant de limiter son impact, il ne démontre en rien que l’économie britannique a pâti de sa non-appartenance à la zone euro. Quand il parle des prestations sociales aux étrangers, sous-entendant qu’il parle des Européens en mobilité en Grande-Bretagne, il n’apporte aucun élément, qui permette de prouver que la présence en Angleterre de ces communautés, assez nombreuses effectivement, a entraîné des effets négatifs. On pourrait multiplier les exemples sur les demandes qu’il avait faites au départ. Il y avait en fait une curieuse inversion de la charge et de la preuve de la part du Premier ministre britannique.

C’est difficile de quantifier l’impact réel que la sortie du Royaume-Uni aurait sur l’UE, parce qu’il est déjà dans une position très ambiguë et un peu marginale. Je pense que l’impact économique sera plus ressenti par les Britanniques que par l’Union européenne. Et c’est plutôt cela qu’il faut mesurer dans cette consultation en cours. »

Le Taurillon : L’Union européenne doit-elle encore faire des compromis ?

Sylvie Guillaume : « Les conditions de la discussion ont été initialement posées par David Cameron ; une discussion en Conseil a eu lieu qui répond sur plusieurs plans. La campagne a eu lieu au Royaume-Uni, vis-à-vis de ces propositions. S’il y a un vote de sortie, que j’appelle « négatif », il va y avoir une phase de discussions pour la sortie, mais l’engagement mutuel entre le Conseil et le Royaume-Uni tombe de fait.

Si le vote est positif, et qu’il y a donc un « Bremain », il va y avoir une discussion sur les conditions du maintien dans l’union. Je rappelle également que le Parlement n’a pas été consulté sur les engagements pris. La discussion va donc se poursuivre et le Parlement sera consulté. Nous allons donc poursuivre ce dialogue sur le contenu, s’interroger sur ce que cela veut dire, par exemple en matière de liberté de circulation, ce que cela veut dire sur les conditions économiques. La discussion n’est pas close, les termes du débat pour le référendum existent, mais les discussions avec les institutions doivent se poursuivre. »

Le Taurillon : Jeremy Corbyn, leader du parti travailliste au Royaume-Uni, a déclaré qu’ « une Europe usurière transformant les petites nations en colonies asservies sous le fardeau de la dette n’a aucun avenir ». Cette opinion est partagée par beaucoup d’Européens ces dernières années, y compris par des europhiles, qui observent le sort de certains pays de l’Europe, comme la Grèce, à la suite de la crise économique et financière. Que pensez-vous de cette déclaration alarmiste ?

Sylvie Guillaume : « Je ne connais pas très bien Jeremy Corbyn, mais il est réputé pour avoir effectivement une expression un peu provocatrice ; c’est manifestement le cas quand il parle de « petites nations », de « colonies asservies », de « fardeau de la dette ». Je ne partage pas du tout l’idée selon laquelle il y a de « petites nations asservies » ; on est tous des Etats membres parfaitement « adultes et intelligents ».

Là où Jeremy Corbyn n’a pas tort, c’est que l’image donnée par l’Union européenne ces dernières années est celle d’une Europe punitive en matière économique. Cela s’est exprimé de façon extrêmement visible s’agissant de la Grèce, avec des politiques qui ont été décidées, puis imposées de façon unilatérale sans contrôle démocratique, puisque la Troïka n’a pas de composante démocratiquement élue en son sein. C’est pour cela et pour les décisions prises qu’elle était parfaitement critiquable.

Cela a donné une image extrêmement négative notamment parce que cela a eu un impact humain et social très lourd dans les pays concernés, en Grèce évidemment, mais aussi en Espagne, au Portugal et ailleurs. Il faut mieux associer les Etats membres à des politiques plus adaptées à leur situation, avec plus de flexibilité. »

Le Taurillon : L’Union économique et monétaire fut conçue comme l’incarnation institutionnelle de la solidarité qui unirait les populations de la région. Dès sa genèse, certains ont soutenu qu’elle est condamnée à se solder par un échec. La solidarité au sein de la zone euro est-elle in fine vouée à l’échec ?

Sylvie Guillaume : « Sur la solidarité, on est loin d’avoir franchi toutes les étapes et d’avoir sillonné tous les chemins et on rencontre des oppositions politiques. La solidarité européenne est remise en cause car elle a été percutée par la crise bancaire et économique - elle le demeure - et on en voit les effets encore maintenant. Elle est percutée avec la question du Brexit - ou du « Bremain » -, mais aussi quand on parle de la crise des migrants. On voit bien que cette dimension de partage de responsabilités - c’est peut-être l’autre nom de la solidarité - est demandée par la Commission et par le Parlement s’agissant de la répartition des personnes réfugiées, mais elle se heurte à une fin de non-recevoir de la part des Etats membres. »

Le Taurillon : Plusieurs ONGs soutiennent que l’Europe désavoue ses valeurs fondatrices dans sa manière de réagir à la crise migratoire. Qu’en pensez-vous ?

Sylvie Guillaume : « La problématique devant laquelle nous sommes est celle de la contagion. C’est le signal qui serait donné par un Brexit, le signal d’une Union « à la carte » selon laquelle chaque Etat pourrait être tenté de choisir son propre référendum, sur telle ou telle question. Ce n’est pas si loin de la question sur la solidarité telle que vous l’avez abordée. Ce risque il existe, il n’est pas suffisamment maîtrisé. Et surtout, il ne s’exprime plus de voix avec une portée collective suffisamment forte qui luttent contre ce type de phénomène. Et cela, je le regrette de la part des leaders européens.

Pour en revenir aux ONGs, elles dénoncent l’accord passé avec la Turquie et le renvoi des réfugiés sur le territoire turc, en disant qu’elle se transforme en un Etat autoritaire et non-respectueux des droits fondamentaux de ses ressortissants. »

Le Taurillon : Cet accord est-il compatible avec les conventions internationales concernant le droit d’asile, en faisant notamment allusion à la Convention de Genève, dont certains protocoles ne sont ni signés ni ratifiés par la Turquie. Pensez-vous que par cet accord l’Union européenne viole « par ricochet » les droits des demandeurs d’asile ?

Sylvie Guillaume : « Il y a une problématique massive vis-à-vis de cet « accord », qui n’est d’ailleurs pas un accord, mais une déclaration commune entre la Turquie et la Commission avec le soutien et la décision unilatérale, pour dire les choses telles que je les pense, de Mme Merkel.

Le Parlement n’a pas été sollicité sur cette déclaration, sur son contenu, sur ce qui a été qualifié du « un pour un » où pour un Syrien retourné depuis la Grèce vers la Turquie, un autre Syrien pouvait venir en Europe en étant relocalisé. Ces dimensions de « troc » n’ont évidemment pas reçu de validation démocratique. C’est une nouvelle démonstration qu’il y a des passages en force qui s’effectuent et qui sont parfaitement critiquables.

Il existe des éléments qui rendent le dispositif fragile : il n’est pas légalement étayé, les questions de refoulement sont douteuses, le donnant-donnant entre l’accord de réadmission et la libéralisation des visas est assez instable, les critères par rapport à la libéralisation de visas ne sont pas remplis…

Moins de gens meurent en mer, c’est le seul aspect positif que j’y vois, mais je pense que c’est surtout parce que le signal donné aux passeurs est que cette voie-là est surveillée, et ils en ont donc cherché d’autres. Ce qui manifestement se traduit par des passages de plus en plus nombreux entre la Libye et l’Italie.

Il y a énormément de ressorts différents dans cet accord. On ne peut pas passer sous silence les dérives extrêmement graves de la part du pouvoir turc à l’heure actuelle sur les journalistes, sur la liberté d’expression, les universitaires, bref tout ce qui constitue une forme de contre-pouvoir à un dirigeant qui de mon point de vue, est en train de franchir beaucoup de limites. »

Le Taurillon : L’ensemble de ces crises vient remettre en cause l’Union européenne elle-même. Les différentes crises pourraient être mises en parallèle avec les symptômes d’une même maladie. Selon vous, est-elle « curable » ? Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Sylvie Guillaume : « Je suis très partagée en ce moment, parce que je pense que ce que l’Union traverse est extrêmement inquiétant, et que c’est un « crash test » dont je ne connais pas l’issue finale. Donc, pour l’instant, je suis pessimiste, mais en même temps je suis persuadée qu’il y a d’autres façons de faire.

L’Europe d’aujourd’hui, celle que je vois sous mes yeux, n’est pas celle dont j’ai envie, ce n’est pas celle que je défends au quotidien. Je ne peux pourtant pas désespérer d’une réorientation européenne qui soit plus adaptée à ce qu’attendent les peuples. En ce moment, on a un problème d’une Europe qui doit faire les preuves de sa capacité à mettre en œuvre des politiques économiques adaptées contre le chômage, adaptées à l’investissement, la relance et la croissance… Cette réorientation-là, je ne ferai jamais une croix dessus et je continuerai à contribuer à ce qu’elle se mette en place. »

Propos recueillis par Alexandra Volou
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