“La plus passionnante des rivalités qui oppose deux clubs de foot”, avance le Nouvel Obs qui revenait en 2012 sur un reportage de Vice à ce sujet. “Le derby peut-être le plus bouillant”, pour Libération. Le “marqueur de la ville, la boussole indiquant le sens et l’humeur d’une cité scindée en deux camps, viscéralement haineux l’un à l’égard de l’autre”, d’après Ouest France. La rencontre opposant les deux clubs majeurs de la plus grande cité d’Ecosse est bien plus qu’un match de football. C’est un affrontement qui a son propre nom, le “Old Firm” (vieille entente), et sa propre légende.
Il était une fois, en 1888 plus précisément, le Celtic FC affronte les Glasgow Rangers et l’emporte 5 buts à 2 face à un adversaire qui a aligné son équipe réserve. Le premier acte d’une longue histoire. Chaque début de saison, les supporters des deux équipes ne manquent pas de cocher la date du choc dans leurs agendas. Le premier cette année se tient le 17 octobre, au Celtic Park. Et en 420 oppositions, le bilan reste incroyablement serré : 159 victoires pour le Celtic, 162 pour les Rangers et 99 nuls.
Un match légendaire et historique
Avant de se plonger dans un récit à la fois riche, tragique et étonnant, il faut déjà revenir sur le nom donné à ce match de football. Pourquoi le old firm ? Déjà sur ce point, plusieurs explications existent. Ainsi, la rencontre s’appellerait “vieille entente” d’après un article qui revenait sur ce premier match de mai 1888 durant lequel l’ambiance sur le terrain semblait détendue. Mais le terme pourrait aussi renvoyer au fait que les deux clubs sortent finalement gagnants, du moins sur le plan financier, de la répétition de cet affrontement. Enfin, une des explications tient à ce que les Rangers aient un jour prêté un gardien au Celtic pour une finale de Coupe contre Hibernians FC, club d’Edimbourg.
Une seule chose est sûre : les rapports entre les deux équipes sont en réalité tout sauf amicaux. Comme l’explique Richard Wilson, qui a rédigé le livre Inside the Divide, à propos du Old firm, “ce qui est réputé est l’opposition entre deux identités : celle des Rangers et celle du Celtic. Mais il y a d’autres frontières : protestant et catholique / unioniste et républicain / conservateur et socialiste…”
En effet, depuis sa création, le Rangers FC est ancré dans la plus pure tradition protestante de Glasgow et si fidèle à la couronne d’Angleterre que ses fans arborent régulièrement le drapeau de l’Union Jack au stade. Tout l’inverse des supporters du Celtic, traditionnellement catholiques et proches de la communauté irlandaise.
Un fan de football qui a pu se rendre au match reconnaît ces différences marquées entre les deux publics : “les uns habitent à l’Ouest de Glasgow, les autres à l’Est, et des quartiers entiers sont façonnés selon les couleurs des clubs. Inutile de préciser qu’il convient d’être prudent avec un maillot du Celtic dans les zones bleues, et idem dans les vertes… Dans celles-ci, il n’est pas rare d’entendre à des heures bien avancées de la nuit des chants à la gloire de l’IRA (l’Irish republican army, pro-Irlande et anti-Britannique)”.
Un match dont l’intérêt sportif perdure
Ce qui fait la force de ce match c’est également, évidemment, son intérêt footballistique. Celui-ci n’a jamais véritablement disparu tant les deux clubs sont des colosses dans leur pays. Les deux équipes font sans doute partie des clubs de football aux palmarès les plus fournis de la planète puisque le Celtic compte 51 championnats d’Ecosse et les Rangers 54 ! Il faut ajouter à cela des succès sur la scène continentale, une Ligue des Champions pour le premier, obtenue en 1967, une Coupe d’Europe des clubs champions pour le second, datant de 1972.
Ils sont actuellement les deux premiers au classement en Ecosse et les rencontres entre les deux adversaires sont souvent imprévisibles. Lors de la saison 1957-1958, les Rangers sont champions d’Ecosse et arrivent sûrs d’eux en finale de la Coupe de la Ligue écossaise. Résultat : une victoire 7-1 du Celtic.
Ces dernières années auraient pu remettre toute l’histoire en question. En effet, depuis sa création en 1872 et l’obtention de son statut professionnel en 1890, le club des Rangers Glasgow n’avait jamais quitté la première division. Malheureusement, le 4 juillet 2012, vingt-cinq des trente clubs de la Scottish Football League (SFL) votent la rétrogradation du club en Scottish Football League Two (4ème division). Mais peu à peu, l’équipe remonte et alors que le légendaire ancien joueur de Liverpool Steven Gerrard est nommé entraineur avant le début de la saison sportive 2018-2019, les Rangers remportent à nouveau le Old Firm en décembre 2018.
Un match populaire et qui rapporte
Comme nombre d’oppositions sportives légendaires, le “Old Firm” est un match qui rapporte. Énormément même. Un rapport de 2005 a ainsi démontré que ce match, qui se déroule au moins trois fois chaque saison, sans compter les affrontements en Coupe, génère 120 millions de livres sterling par an pour l’économie et crée des milliers d’emplois en Écosse. Comme l’expliquait Martin Bain, alors en charge des Rangers, “ce rapport montre que les deux clubs sont des institutions et ont une grande influence sur la société, non seulement en termes économiques, mais plus généralement pour leur place dans la communauté”. Et si le Celtic enchaîne les titres depuis que les Rangers sont descendus, comme le révèle le site DH, “selon le directeur du club Peter Lawwell, le coup de moins bien des Rangers a coûté une cinquantaine de millions d’euros de manque à gagner au Celtic”.
Les chiffres sont là : le 2 janvier 1939 à l’Ibrox Stadium, près de 120 000 spectateurs assistent au Old Firm, record absolu pour un match de championnat de football, non seulement en Ecosse mais dans toute la Grande-Bretagne, devant les Manchester, Liverpool et les clubs de Londres. Et ce n’est pourtant pas le record pour un Old firm ! La finale de la Coupe d’Ecosse 1969, qui se déroulait à Hampden Park recevait ainsi 132 870 spectateurs pour une victoire nette 4-0 du Celtic.
Un fan de football qui s’est rendu il y a quelques années à un Old Firm est revenu la tête pleine de souvenirs de l’ambiance particulière qui y règne. “Une fois les joueurs arrivés sur le pitch, le speaker met en marche la raison de mon déplacement : le fameux « You’ll never walk alone », héritage des ancêtres irlandais arrivés en nombre non seulement à Liverpool, mais aussi à Glasgow durant la grande famine de la moitié du 19ème siècle. Echarpes tendues au-dessus de la tête, les supporters entament les deux minutes les plus incroyables que j’ai vécu dans un stade ! Désolé mais même les 98 000 fans d’un Clasico à Barcelone ne sont pas à la hauteur. Inoubliable, magique.”
Un match parfois tragique
Inoubliable, magique, mais malheureusement aussi parfois tragique. Comme toute histoire qui s’étire sur plus d’un siècle, les parts d’ombre sont aussi là. “La haine entre les deux clubs est viscérale, rampante, quasi aliénante”, explique Libération il y a quelques années. Au-delà des tensions perpétuelles et des insultes, la rencontre a été plusieurs fois meurtrière. Le 2 janvier 1971, le but égalisateur en toute fin de partie pour les Rangers provoque un mouvement de foule dans le stade d’Ibrox Park, des personnes qui le quittaient revenant précipitamment… Au total, 66 supporters décèdent, 200 sont blessés, dans ce qui est alors qualifié de “désastre d’Ibrox”.
Jock Stein, l’entraîneur du Celtic de l’époque, formule alors le souhait que cette tragédie aboutisse à freiner l’intolérance et la violence des matchs du Old firm. Mais en 1980, en finale de coupe d’Ecosse, la victoire du Celtic entraîne l’envahissement du terrain par les fans des deux équipes. 200 personnes sont arrêtées ce soir-là. Plus récemment encore, il est estimé qu’entre 1996 et 2003, au moins huit décès directement liés aux matchs opposant Celtic et Glasgow soient à déplorer. En 2011, Neil Lennon, alors entraîneur du Celtic, reçoit des morceaux de bombes et des balles de pistolets par la poste. Il estime toutefois que la situation s’améliore, mais les parts d’ombre sont encore grande autour de l’aura de lumière que procure le match sur le football écossais.
La légende autour de cette rencontre a tout de même perduré jusqu’à nos jours et un New Firm est apparu au début des années 2000 au Danemark. Ce nom est en effet donné à l’affrontement entre les deux clubs majeurs de Copenhague, le FC Copenhague et le Brøndby IF. Mais cette rencontre n’aura sans doute jamais la valeur du duel qui oppose les deux rois de Glasgow.
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