Le Taurillon : Bonjour Prince, avec quel état d’esprit et quel objectif t’es-tu rendu à Genève, du 5 au 15 août, pour ces négociations internationales ?
Prince Maboussou : Je suis arrivé à Genève avec un état d’esprit conquérant et une grande motivation, renforcée par les positions affirmées de plusieurs pays africains, sud-américains, ainsi que de la France en amont du sommet. J’y participais dans le cadre du comité des négociations intergouvernementales du Programme des Nations unies pour l’environnement, autorisé par une résolution de l’Assemblée environnementale de l’ONU (UNEA, résolution n° 5/14). Cette session, qui s’est tenue du 5 au 15 août, s’inscrit dans une série de rencontres précédemment organisées en Uruguay, en France, au Kenya, au Canada et en Corée du Sud.
L’objectif global est d’aboutir à la rédaction d’un traité international sur la pollution plastique. Les enjeux sont nombreux, et l’un des plus cruciaux consiste à déterminer si le futur traité se limitera au recyclage [approche dite « downstream » ou « en aval »] ou s’il abordera aussi la réduction de la production de plastique à la source [approche dite « upstream » ou « en amont »].
Prenons le cas de la France qui défend principalement l’extension du « principe de responsabilité élargie du producteur » (REP), autrement dit le mécanisme du pollueur-payeur. Mais cette approche pose problème : elle est complexe à mettre en place pour les pays du Sud et avantage nettement les pays du Nord et les grandes entreprises. Car ceux qui ont les moyens peuvent se permettre de « payer le droit de polluer », contrairement aux pays en développement, ce qui rend ce système profondément inéquitable. C’est pourquoi ma position s’inscrit résolument dans l’« upstream », c’est-à-dire la réduction de la production à la source. Depuis le milieu des années 1950, à peine 9 % du plastique produit a réellement été recyclé, c’est-à-dire réintroduit dans un cycle de production pour le même usage. Le reste relève davantage du « décyclage », où l’on transforme les déchets en produits de moindre qualité. Si nous n’avons réussi qu’à recycler 9 % en près de 70 ans, pourquoi continuer à miser l’essentiel de nos efforts sur le recyclage ? Surtout que celui-ci demande d’énormes moyens financiers : la mise en place de filières spécialisées coûte cher et fait peser une lourde charge sur les collectivités locales. À Lyon, par exemple, la gestion du recyclage représentait déjà 9 millions d’euros en 2017. Et encore, il ne suffit pas de collecter : pour qu’un produit soit effectivement recyclable, il doit être propre, c’est-à-dire non contaminé par d’autres matières. Dans ce contexte, la perspective est vertigineuse : on estime que d’ici 2060, la production mondiale pourrait atteindre 1,2 milliard de tonnes de plastique, le triple de la production actuelle. C’est dire l’urgence !
Le Taurillon : Quels acteurs retrouve-t-on à ces négociations sous l’égide des Nations unies ? Quel est le rôle de la société civile et d’Orléans Zéro Plastique dans les négociations entre les Etats ?
Prince Maboussou : Ces négociations réunissent d’abord les États, représentés par leurs corps diplomatiques, composés de ministres, de chefs de la diplomatie environnementale et de scientifiques. À leurs côtés, on retrouve les ONG : certaines regroupées dans la « business coalition », qui défendent avant tout le recyclage, et d’autres, comme Objectif Zéro Plastique, qui militent pour une réduction de la production. Des scientifiques indépendants participent également, afin d’apporter une expertise et une vision objective.
Le rôle d’Objectif Zéro Plastique est d’accompagner et de conseiller les délégations étatiques. Nous leur fournissons des chiffres sur la production mondiale, des données concrètes et des éléments de comparaison. Par exemple, nous avons soutenu la proposition du Rwanda à Busan, dite « 40 by 40 », c’est-à-dire qui visait une réduction de 40 % de la production de plastique d’ici 2040, soit un retour au niveau de 2015. Nous menons aussi un travail de sensibilisation : nous avons animé la fresque du plastique auprès de plus de 60 délégations francophones et anglophones. C’est essentiel, car beaucoup de négociateurs viennent de l’environnement au sens large et ne sont pas toujours spécialistes des enjeux spécifiques liés au plastique.
Le Taurillon : Concrètement, comment se déroulent les négociations ? Qui négocie avec qui et de quelle manière ?
Prince Maboussou : Concrètement, les négociations se déroulent en groupes de contact, où les États travaillent article par article sur le contenu du futur traité. Chaque groupe est chargé d’une partie précise du texte, du préambule jusqu’aux dispositions finales. Ce sont donc les États qui négocient directement entre eux. Les autres acteurs, qualifiés d’« observateurs », ne participent pas aux négociations à proprement parler, mais ils peuvent apporter des éléments en marge des discussions. Leur présence dans les salles de groupe de contact dépend de la décision du président du processus et de l’accord des États membres. Lorsqu’ils y sont admis, tous sont soumis à la Chatham House Rule : les délégués peuvent s’exprimer librement, mais leurs propos ne doivent jamais être rapportés à l’extérieur, ni attribués à une personne ou à un pays précis.
Du côté des dynamiques entre États, les oppositions restent fortes, notamment au sein du groupe des « like-minded », qui rassemble les pays pétroliers comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou l’Irak, auxquels s’ajoutent les États-Unis depuis le retour de Trump, ainsi que l’Afrique du Sud. La Chine, initialement alignée sur Washington, a évolué vers une position plus intermédiaire. L’Afrique, censée s’exprimer d’une seule voix, se divise en réalité en trois courants : d’un côté, les pays francophones, le Sénégal et la République démocratique du Congo, qui figurent parmi les plus ambitieux ; au milieu, le Ghana et le Nigeria, également favorables à des mesures fortes ; et enfin certains pays de la Corne de l’Afrique et du Maghreb, beaucoup plus réservés, à l’exception du Maroc, qui adopte une posture plus nuancée.
Le Taurillon : L’Union européenne, représentée sur place par la commissaire à l’environnement Jessika Roswall et les États membres, pèse-t-elle dans les discussions ? Quelle influence exerce-t-elle sur le contenu du traité ?
Prince Maboussou : Il faut d’abord préciser que, malgré sa nomination juste avant le sommet de Busan, Jessika Roswall était absente en Corée du Sud. En revanche, elle était bien présente à Genève. Son influence, toutefois, reste très limitée. À Busan, sous présidence hongroise [du conseil de l’UE], les 27 n’avaient mené aucun travail sérieux ni réellement ambitieux. À Genève, sous présidence danoise, on a noté une évolution : la commissaire a pris la parole en session plénière, ce qui n’est pas négligeable. Cela dit, son rôle n’a pas été moteur, et il a même failli être contre-productif. Jessica Roswall a insisté pour qu’un accord soit trouvé, quitte à accepter un texte très affaibli.
Le Taurillon : Quelle est ton analyse sur l’échec des négociations ? Est-ce qu’il vaut mieux un « mauvais accord » ou refuser un texte qui ne serait pas suffisamment ambitieux ?
Prince Maboussou : À mes yeux, la fin du processus à Genève est une bonne chose : mieux vaut aucun traité qu’un mauvais traité. Pourquoi ? Parce qu’un texte doit ensuite être ratifié par les États pour qu’un cycle de COP (Conference of Parties ou « Conférence des Parties » en français) puisse s’ouvrir. Or, comment imaginer que même 10 % des États ratifient un traité faible, quand 110 pays s’étaient prononcés en faveur de l’objectif « 40 by 40 » dès 2024, et que 97 ont réaffirmé leur position, en allant même plus loin, avec le Nice Wake Up Call en juin 2025 ?
Un traité qui omet de prévoir une réduction de la production, ou qui se contente d’un statu quo, sera toujours un mauvais traité. Car si rien ne change, dans 35 ans, la production mondiale de plastique aura triplé par rapport à aujourd’hui.
Le Taurillon : Quelle est la suite pour le traité ? Est-ce que c’était les négociations de la « dernière chance » pour voir aboutir le texte cette année ?
Prince Maboussou : La suite dépendra beaucoup de l’issue de la COP30 [du 10 au 21 novembre 2025 à Belém au Brésil] et de l’UNEA-7 [la 7e session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du 8 au 12 décembre 2025], qui devraient donner le ton pour la diplomatie environnementale dans les prochains mois. Un point clé sera la position de la Chine, alors que les États-Unis de Donald Trump se sont désormais alignés sur les pays pétroliers, même si aucune liste officielle des soutiens n’existe depuis 2005. Il faudra s’armer de patience : le processus ne pourra pas se conclure sous la présidence Trump.
Le Taurillon : Enfin, que retiendras-tu à titre personnel de ces négociations internationales à Genève ?
Prince Maboussou : À titre personnel, je retiens plusieurs éléments marquants de ces négociations à Genève. D’abord, le fait que les États-Unis avancent main dans la main avec les pays pétroliers. La Chine, qui avait entamé le processus en partenariat avec Washington, a finalement admis que la lutte contre la pollution plastique ne pourra pas réussir sans une réduction de la production. Le Rwanda, en revanche, a été mis en retrait et très peu visible, sans doute en raison du contrecoup du conflit au Nord-Kivu. Je retiens aussi l’évolution positive de la diplomatie française. À Nairobi [un précédent sommet de négociation sur le traité qui a eu lieu en novembre 2023], la France n’osait pas encore parler de réduction de la production de plastique. Aujourd’hui, elle porte clairement ce discours et plaide pour une baisse de la production. Enfin, un constat préoccupant : la défiance à l’égard des scientifiques est bien plus forte que ce que l’on entend, lit ou imagine de l’extérieur.
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