Trentenaire de la Chute du Mur : l’Europe se libère

, par Basile Desvignes

Trentenaire de la Chute du Mur : l'Europe se libère
Manifestations sur le mémorial de Prague lors de la révolution de velours. Image : MD / Wikimedia commons

Il y a trente ans, les pays de l’Europe de l’Est se libéraient les uns après les autres de la tutelle soviétique, mettant fin à des décennies de division en Europe. Ces évènements ont bouleversé l’équilibre géopolitique européen. Au-delà des commémorations de 1989, il faut s’interroger sur le bilan de la sortie du communisme alors qu’une partie de l’Europe centrale et orientale est tentée par un type de régime d’un genre nouveau : la « démocratie illibérale ».

L’immense majorité des commémorations, articles et documentaires diffusés à l’occasion du trentenaire se concentrent sur le cas berlinois et la réunification de l’Allemagne. Une rapide recherche sur internet permet de confirmer que 2019 n’est plus le 30e anniversaire de l’effondrement du bloc de l’Est mais bien celui de la Chute du Mur de Berlin. Pourtant, les événements de 1989 ne se concentrent pas à Berlin. C’est l’ensemble du bloc de l’Est qui est secoué.

Lorsque le Mur tombe à Berlin, la Hongrie et la Pologne ont déjà commencé à s’émanciper et ont entamé leur transition démocratique. Au printemps, des manifestations ont également eu lieu en Tchécoslovaquie. En Roumanie et en Bulgarie, la rupture brutale avec le communisme a lieu dans les jours qui suivent la Chute du Mur. En quelques mois c’est l’ensemble du bloc soviétique qui se libère du communisme.

Un processus progressif

En Hongrie et en Pologne, le passage à la démocratie fut un processus progressif. Les deux pays avaient déjà effectué en 1989 plusieurs réformes économiques inspirées de l’Ouest qui ont rendues le terrain fertile pour des « révolutions libérales ».

Suite aux grandes grèves de 1988 en Pologne, des négociations entre le gouvernement et les grévistes sont organisées entre février et avril 1989. Le but des négociations est alors de trouver un accord entre le gouvernement et les grévistes permettant de construire le « socialisme avec un visage humain et démocratique ».

Les négociations aboutissent avec la légalisation de Solidarnosc, syndicat ouvrier organisateur des grèves qui participent aux premières élections semi-libres en juin 1989.

La Hongrie poursuit une trajectoire similaire sur la même période. La sortie du communisme est menée par l’opposition libérale au sein du parti communiste. Entre 1986 et 1987 sont décidées plusieurs réformes sur les libertés de la presse et d’opinion malgré les antagonismes dans le parti communiste. Une nouvelle équipe est nommée à la tête du Parti en février 1989, qui annonce l’organisation d’élections libres au printemps 1990.

Parallèlement, le mur entre la Hongrie et l’Autriche est démantelé par le gouvernement hongrois : il sera utilisé par plus de 10 000 allemands de l’Est pour rejoindre la RFA durant l’été 1989. Le 23 octobre 1990, la Hongrie amende sa Constitution et cesse d’être une « République populaire ».

Une succession de chutes

Les bouleversements en Pologne et en Hongrie font l’effet d’une déflagration dans le reste du bloc de l’Est, plus conservateur. Les réformes vers le libéralisme et l’usage de la force ne sont pas parvenus à maintenir les régimes communistes désormais discrédités qui s’effondrent brutalement en quelques semaines en RDA, en Bulgarie, en Roumanie (pays où la rupture est la plus meurtrière avec des affrontements entre les protestataires et le gouvernement) et en Tchécoslovaquie suite à des mouvements de contestation.

Les Européens ont ainsi des mémoires très différentes d’un moment charnière de leur histoire qui ne peut pas être résumé par la Chute du Mur de Berlin. Il est extrêmement dommage que les cérémonies de 2019 se restreignent à des commémorations de la Chute du Mur de Berlin sans évoquer la quasi-totalité des bouleversements de 1989. D’autant plus que si la Chute du Mur marque le début du démantèlement du camp soviétique, elle est également le commencement d’une nouvelle période de l’histoire du continent et de l’UE.

Repenser l’Europe

Avant la Chute du Mur, la question de l’élargissement de l’UE est en suspens. Depuis 1986, l’ensemble des pays de l’Europe de l’Ouest sont membres de la CEE si l’on exclut les pays ne souhaitant pas l’intégrer (la Suisse et la Norvège) et ceux qui ne peuvent pas la rejoindre du fait de leur statut de pays neutre entre les deux blocs (l’Autriche, la Suède et la Finlande). Un élargissement vers l’Est est évidemment impensable en raison du Rideau de Fer.

La Chute du Mur bouleverse la situation en offrant de nouvelles perspectives d’élargissement. Pour la première fois, la CEE peut se projeter au-delà du rideau de fer lorsque 13 pays (dont dix issus de l’ex bloc de l’Est) se lancent dans les années 90 dans un processus d’adhésion à la CEE (devenue Union européenne en 1992).

Néanmoins, le caractère totalement inattendu de l’évènement déstabilise les dirigeants de l’Ouest qui ne savent quelle posture adopter vis-à-vis des pays de l’ancien bloc de l’Est. En 1989 est lancé le Programme d’aide communautaire aux pays d’Europe centrale et orientale (PHARE) afin d’aider les pays candidats dans leurs préparatifs d’adhésion à l’UE.

Adhésion non immédiate

Lors du sommet de Copenhague en 1993, le Conseil européen formule les conditions selon lesquelles les « pays associés de l’Europe centrale et orientale qui le désirent pourront devenir membres de l’UE ». Alors que les leaders des révolutions s’attendaient à être rapidement intégrés dans l’UE, sa réaction se fait attendre. Les négociations entre l’UE et l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie ne démarrent qu’en 1998.

Contrairement à la manière dont ce processus est souvent décrit, l’UE n’a pas intégré l’ancien bloc de l’Est rapidement et sans questionnement. Ce manque de réactivité de la part de l’UE aura de lourdes répercussions sur la suite de la construction européenne et les relations entre les États ouest-européens et les anciens membres du bloc de l’Est.

Les difficultés de la transition

Au début des années 1990, les pays de l’ancien bloc de l’Est poursuivent leur transition vers le libéralisme. Les élites économiques sont largement recomposées même si une large partie parvient à se maintenir au pouvoir. La vie politique traverse un processus similaire. Les partis communistes disparaissent ou se reforment sous d’autres noms emprunts du socialisme tout en sauvegardant leur patrimoine.

On constate ainsi une recomposition partielle des classes politiques et économiques dans l’ensemble des anciens pays du bloc de l’Est. Si cette recomposition a lieu de manière différente dans chaque État, une particularité se dégage : la disparition rapide des mouvements ayant portés les révolutions de 1989.

Revers électoraux

En effet, les anciens partis d’opposition au pouvoir communiste sont rapidement tenus responsables du tournant néolibéral opéré au début des années 1990 qui a conduit au chômage de masse et à la paupérisation d’une partie de la population. Populaires en 1989, ces mouvements subissent des revers électoraux dès les années 1990.

En Pologne, le leader de Solidarnosc, Lech Walesa, devient Président de la République en 1989 mais son parti est balayé dès les élections de 1991. En 1990, les nationalistes et conservateurs du Forum démocrate hongrois (23,9%) battent largement le parti socialiste hongrois, issu de l’aile réformatrice du parti communiste (10,2% et quatrième position). Le Forum civique tchécoslovaque parvient à obtenir 67% des suffrages en 1990 mais le mouvement ne survit pas à ses divisions et disparait en 1991. Enfin, les anciens partis communistes bulgare et roumain parviennent à remporter les premières élections organisées après 1989.

Les mouvements porteurs des révolutions de 1989 déclinent rapidement alors que des partis hostiles à l’idée de libéralisation économique et politique s’imposent dans le paysage politique. Les bons résultats économiques obtenus en Europe de l’Est dans les années 1990 – notamment grâce aux aides de l’UE – et les promesses de prospérité n’ont pas suffi à convaincre les citoyens de l’ex-bloc de l’Est.

L’émergence de difficultés

En effet, les réformes néolibérales encouragées par l’UE ont entrainé une réduction importante des protections sociales auparavant prises en charge par les États. En parallèle apparait un chômage de masse dû à la désindustrialisation, situation inédite qui atteint un pic au début des années 2000.

Les inégalités sociales et territoriales augmentent : alors que les capitales se convertissent au modèle occidental, les campagnes demeurent écartées des changements et se replient sur des valeurs traditionnelles. Enfin, l’Est de l’Europe connait une diminution impressionnante de sa population. En 1989 et 2017, la Roumanie perd 14% de sa population, la Bulgarie 21%.

Suite au cinquième puis au sixième élargissement, les États européens arrivent finalement à une situation paradoxale. A l’Ouest, beaucoup considèrent que l’intégration de nouveaux membres a été trop rapide et qu’il aurait fallu réformer préalablement le fonctionnement des institutions européennes afin de l’adapter à une Union composée d’un grand nombre d’États.

Les anciens États membres ne veulent également pas accueillir les travailleurs en provenance de l’ex bloc de l’Est. Au contraire, les nouveaux membres partagent le sentiment que l’intégration a trop tardé. Rapidement, plusieurs pays comme la Pologne ou la Hongrie abritent des partis et leaders politiques fortement opposés au libéralisme politique et économique ainsi qu’au fonctionnement communautaire européen.

Dès 1996, Viktor Orban dénonce le retour de « la nomenklatura qui a dirigé et détruit la Hongrie avant 1989 ». En 2005, le parti eurosceptique Droit et Justice (PiS) arrive au pouvoir en Pologne. C’est également le cas du Parti démocratique civique (droite libérale et eurosceptique) qui dirige une coalition en République tchèque un an plus tard. Enfin, Viktor Orban revient au pouvoir en Hongrie en 2010 après dix ans dans l’opposition.

Son mandat se caractérise par la volonté de rompre avec le libéralisme qui structure la société hongroise depuis 1989 en rassemblant les citoyens autour de valeurs nationales et communautaires. Aujourd’hui, le premier ministre hongrois revendique ouvertement le concept de « démocratie illibérale », opposé aux idées portées par les révolutions de 1989 et pesant sur les libertés individuelles. Les valeurs de 1989 sont balayées.

Espoirs déchus

Trente ans après la chute du rideau de fer, l’espoir provoqué par les révolutions de 1989 semble avoir totalement disparu. Dans plusieurs pays, on assiste à l’émergence de mouvements désireux de revenir définitivement sur les réalisations des révolutions de 1989.

Cette tendance s’explique par l’histoire récente des pays de l’ancien bloc soviétique, entre sortie du communisme et intégration dans le libéralisme et l’UE. Certes, plusieurs réformes vers le libéralisme politique et économique ont pu être menées dans un premier temps.

Cependant, la chute du communisme a instauré un vide qui n’a pas été convenablement été comblé par la première génération d’hommes et de femmes politique après 1989, faiblement soutenus par les autorités communautaires de l’UE. Dès lors, une défiance envers le libéralisme s’est rapidement développée, qui sert de terreau des mouvements eurosceptiques que l’on connait.

Jusqu’à présent, les institutions européennes et les États d’Europe de l’Ouest ont échoué à influencer positivement la situation politique dans l’ex-bloc soviétique. Cela ne signifie pas qu’ils ne pourront pas agir sur l’évolution future des anciens membres du bloc de l’Est. Leur succès dépendra cependant la volonté et les qualités des acteurs sur lesquels ils pourront s’appuyer localement.

Sources : « Les bouleversements de 1989 en Pologne et en Hongrie », [dernière consultation 03/02/2020) https://www.touteleurope.eu/actualite/les-bouleversements-de-1989-en-pologne-et-en-hongrie.html « La chute du Mur, et après ? », L’Histoire n°464, octobre 2019 https://www.lhistoire.fr/%C3%A9ph%C3%A9m%C3%A9ride/9-novembre-1989-chute-du-mur-de-berlin

Vos commentaires
  • Le 19 février 2020 à 05:13, par Charles Malot En réponse à : Trentenaire de la Chute du Mur : l’Europe se libère

    Article passionnant sur la période « post soviétique » en Europe centrale et en Europe orientale. L’article se penche de façon détaillée sur les cas les plus connus d’illibéralisme tels que la Pologne et la Hongrie. Le cas roumain ou plus encore le cas croate pourrait être détaillé dans un prochain article pour mettre en avant que ces pays, bien qu’appartenant aujourd’hui à l’Union européenne et ayant un passé commun, n’ont pas une évolution homogène en tant que « bloc » depuis 30 ans.

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