Trop tôt venus ? Quand l’UE devrait se méfier

, par Andrew Micallef, traduit par Noémie Chemla

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Trop tôt venus ? Quand l'UE devrait se méfier
Malte a-t-elle rejoint l’UE alors qu’elle n’était pas encore prête ? Image : Berit Watkin

Dans une interview au New Federalist, le journaliste maltais Matthew Caruana Galizia, dont la mère Daphne a été assassinée alors qu’elle enquêtait sur un cas de corruption au gouvernement, nous expliquait que l’adhésion de Malte à l’Union européenne avait été prématurée. Selon lui, l’archipel méditerranéen n’avait pas une démocratie suffisamment forte avant son adhésion, et sa faible séparation des pouvoirs a tourné au « désastre » après avoir gagné accès aux grands marchés financiers en devenant membre de l’UE. Tout cela a fait de Malte un « terreau fertile » pour la corruption.

Dans cet article, Andrew Micallef, citoyen maltais et activiste chez les JEF Malte, examine la question de l’adhésion à l’UE plus en détail.

L’adhésion à l’Union européenne est un sujet controversé, avec de fréquents désaccords entre Etats membres actuels et potentiels. De plus en plus de problèmes liés à l’Etat de droit et à la corruption surgissant dans plusieurs pays de l’Union européenne, surtout ceux qui ont rejoint l’Union au cours des 20 dernières années, de nombreux États appellent à une révision du processus d’adhésion. Le plus notable d’entre eux a été le président Macron, qui a affirmé que le processus d’adhésion était critiquable et ne garantissait pas que les candidats s’engagent dans l’Etat de droit puisqu’il n’offre aucun recours en cas de régression.

Si la discussion se concentre presque toujours sur les Etats candidats et sur le processus d’élargissement lui-même, le journaliste d’investigation maltais Matthew Caruana Galizia, fils de la journaliste assassinée Daphne Caruana Galizia, a expliqué au New Federalist que c’était en fait en devenant membre de l’UE que Malte était devenue mûre pour la corruption. Cette observation n’est pas dénuée de sens. Malte peut être vue comme un Etat membre assez unique de l’Union européenne. Perchée sur une position géographique unique, entre la Sicile et l’Afrique du Nord, elle a été colonisée et gouvernée par des puissances étrangères durant la majeure partie de son Histoire. Quand Malte a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1964, sa nouvelle constitution a doté le pays d’un système parlementaire à la Westminster, avec un seul Parlement. La structure de son gouvernement exécutif et de son service public est également basée sur le modèle britannique.

Une cible pour la corruption

Bien que Malte soit une démocratie libérale sur le papier, les divers scandales de corruptions et les atteintes aux droits de l’Homme et à l’Etat de droit au fil des ans feraient pâlir certaines dictatures. Dans son rapport de 2019, Transparency International disait qu’à Malte, la corruption « nuit à l’Etat de droit » et « affaiblit la démocratie ». Ce rapport faisait allusion à plusieurs scandales, comme à celui des passeports dorés, qui permet à de riches investisseurs étrangers d’acheter leur citoyenneté, aux Panama Papers, qui ont révélé que des hommes politiques et des hauts fonctionnaires étaient propriétaires de sociétés offshores, ainsi qu’à la fermeture par la Banque centrale européenne d’une banque basée à Malte.

On pourrait se demander s’il y a réellement un lien entre ces affaires et l’Union européenne. Cependant, c’est en devenant membre de l’UE que Malte a rejoint un bloc continental visant la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services. Sa faible législation et son insuffisante séparation des pouvoirs en ont fait une cible pour les sujets corrompus, qui s’en servent comme « porte dérobée » vers d’autres Etats membres de l’UE. C’est peut-être maintenant que beaucoup prennent la mesure de ce qui est en jeu lorsqu’un nouvel Etat est en passe devenir membre de l’UE. C’est exactement pour cette raison que le président Macron a émis des réserves quant à l’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord.

Par conséquent, l’UE devrait se montrer vigilante lorsqu’il s’agit de l’entrée de nouveaux Etats dans l’Union. Pour devenir membre de l’UE, un Etat doit respecter et promouvoir activement les valeurs citées dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne. Ces valeurs comprennent entre autres l’Etat de droit ainsi que la protection des minorités. Parmi les principales conditions énoncées par les critères de Copenhague (l’ensemble des critères requis pour l’adhésion), on trouve aussi une économie de marché opérationnelle, ainsi que la capacité d’intégrer la compétition et le marché intérieur. Devenir Etat membre implique d’être capable d’assumer les obligations qui incombent à un Etat membre et de respecter les critères d’adhésion initiaux. Si ces conditions paraissent correctes sur le papier, dans les faits, le processus d’adhésion et le suivi des Etats membres récemment entrés laissent beaucoup à désirer.

Dans un développement prometteur, la Commission européenne a entendu les arguments du président Macron et a proposé de renforcer et d’améliorer la procédure d’adhésion pour la rendre plus crédible, plus dynamique et plus prévisible, et lui donner une plus forte orientation politique. Il reste néanmoins beaucoup à faire. L’Albanie et la Macédoine du Nord sont maintenant bien en route vers l’adhésion à l’UE, les négociations ayant été officiellement ouvertes par le Conseil européen en mars de cette année. Bien que certains doutes demeurent, c’est un signe positif pour ceux qui voudraient voir l’UE continuer à s’agrandir.

Les outils de l’Europe – ou plutôt son manque d’outils

Pour moi, au-delà de ce que j’ai évoqué plus haut, le problème est que l’Union européenne n’est pas parvenue à s’occuper efficacement des Etats une fois ceux-ci devenus membres, notamment en matière de bonne gouvernance et de séparation correcte des pouvoirs. Bien que l’article 7 du traité sur l’Union européenne soit censé viser n’importe quel Etat membre enfreignant les valeurs fondamentales de l’UE, en pratique, il n’est pas toujours utilisé de manière efficace. On a pu le voir récemment avec la Pologne et la Hongrie, lorsque le Conseil a échoué à appliquer effectivement l’article 7. Les deux pays continuent à porter atteinte aux valeurs européennes, à la confiance mutuelle et à la crédibilité de l’UE dans son ensemble.

L’UE a également échoué à s’attaquer efficacement à la corruption, aussi bien entre ses Etats membres qu’avec des pays tiers. L’UE ne peut pas se permettre de fermer les yeux sur les Etats accusés de corruption, car en fin de compte, toute l’Union en est affectée. Aussi cliché que cela puisse paraître, notre force est en réalité déterminée par notre maillon faible. Pour s’attaquer à la corruption, l’UE doit au minimum commencer par donner des pouvoirs à un « Europol » (Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs) actuellement démuni, qui à ce jour ne peut ni traduire en justice ni arrêter quelqu’un, ni mener ses propres enquêtes, ce qui obligerait pourtant les Etats à rendre des comptes. Europol n’a donc aucun pouvoir exécutif, et ne peut agir qu’avec l’accord préalable des Etats membres.

Chaque semaine semble être synonyme de nouveau scandale dans l’un des Etats membres, que ce soit un scandale de corruption ou une atteinte aux valeurs européennes communes. Il faut que l’UE agisse rapidement et de manière efficace, autrement, elle court le risque d’être constamment affaiblie et de perdre toute crédibilité auprès des citoyens européens. La solution est simple : s’adapter ou mourir. S’il ne réforme pas ses structures internes et ses procédures pour répondre aux réalités et aux exigences des citoyens dès aujourd’hui, le projet européen est voué à l’échec.

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