TTIP : Un accord protectionniste et corporatiste loin des logiques libre-échangistes

, par Ferghane Azihari

TTIP : Un accord protectionniste et corporatiste loin des logiques libre-échangistes
Le TTIP est-il véritablement d’inspiration libre-échangiste ? - Jason Mrachina

Les perspectives d’un accord sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique ont donné lieu à un abondant flot d’articles pour commenter les implications et les enjeux d’un accord qui serait d’inspiration libre-échangiste. Il n’en est absolument rien. Ce projet d’accord s’inscrit au contraire dans une logique protectionniste centrée sur l’Occident pour satisfaire des corporatismes politiquement organisés.

Protectionnisme déguisé, libre-échange dévoyé

Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais) est désigné comme d’inspiration libre-échangiste alors que sa finalité consiste à harmoniser certains standards techniques ainsi que d’autres normes commerciales. La décision d’emprunter la voie bilatérale en lieu et place du multilatéralisme a été motivée par l’échec du cycle de Doha. Il avait officiellement l’ambition de libéraliser le commerce international. Il faut cependant se méfier du vocable libre-échangiste lorsqu’il est entre les mains des politiciens qui incarnent bien souvent les intérêts catégoriels des élites économiques. Ces élites aiment faire précéder les faits par des mots en vantant les vertus du libre-marché tout en faisant pression auprès des instances politiques pour neutraliser la concurrence par le biais d’artifices bureaucratiques divers et variés, le tout pour concentrer des industries qui aspirent à atteindre une position monopolistique.

Ce discours est pratique. En entretenant l’illusion de liberté et d’égalité, il permet de légitimer l’ordre social établi pour obtenir la docilité de celles et ceux qui ne sont pas dans la possibilité d’y tirer leur épingle du jeu. Cet accord de « libre-échange » ne fait hélas pas exception à la règle.

L’Union européenne et les États-Unis sont les plus grandes puissances commerciales de la planète. L’enjeu pour les grandes corporations consiste à imposer à l’échelle mondiale des normes qui procureraient un avantage compétitif en entravant la concurrence tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du bloc occidental. Il ne s’agit donc pas d’abolir les entraves aux échanges mais d’harmoniser des standards techniques afin de façonner les barrières en fonction des intérêts des acteurs économiques dominants, le tout pour favoriser la concentration des industries à l’échelle supranationale. La place de la propriété intellectuelle dans ces négociations est en ce sens très révélatrice.

Consolider les oligopoles à l’échelle planétaire, l’exemple emblématique de la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle est un concept clé de l’économie moderne. Elle n’en reste pas moins une institution fondamentalement liberticide. En réservant un droit exclusif à l’exploitation d’une idée, elle constitue une puissante barrière pour neutraliser la concurrence. Ce privilège prétend revêtir la même légitimité que la propriété privée classique alors que l’analogie est impertinente. Au XIXe siècle déjà, le célèbre journaliste Benjamin Tucker affirmait que la propriété intellectuelle fait partie des quatre principaux dispositifs bureaucratiques qui nuisent à une juste répartition des richesses en favorisant l’apparition de monopoles infondés. La place que cette notion occupe dans cette négociation confirme le fait que le partenariat transatlantique ne s’inscrit nullement dans une logique libre-échangiste.

Le mandat de négociation énonce en effet que le projet d’accord « reflètera la grande valeur accordée par les deux parties sur la protection de la propriété intellectuelle ». L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce rattaché à l’OMC servira de base de travail pour conduire les négociations. Or ce traité est justement réputé pour favoriser les concentrations notamment dans l’industrie pharmaceutique. Il handicape les pays émergents et sous développés qui ne se voient pas dotés de la possibilité de favoriser la naissance de structures pouvant concurrencer les industries occidentales malgré les enjeux humanitaires auxquels ils font face. Loin de favoriser les « libertés économiques », de tels accords ne font que les restreindre pour satisfaire une minorité d’acteurs qui ont les moyens de s’affranchir des coûts engendrés par ces barrières.

Politiser les standards techniques, une manœuvre dangereuse

Le cas de la propriété intellectuelle est paradigmatique pour illustrer la nocivité de l’action normative des institutions politiques. Celle-ci est généralement au service d’intérêts catégoriels dont il faut se méfier. En effet, si les standards techniques que le TTIP veut promouvoir étaient réellement bienveillants, alors la société civile n’aurait aucun mal à s’en emparer pour les promouvoir sans l’assistance de l’Etat. De nombreux standards techniques dont nous bénéficions quotidiennement ont été développés grâce à des coopérations volontaires et spontanées. C’est par exemple le cas du standard Bluetooth géré par le Bluetooth Special Interest Group fondé en 1998 et comptant environ 20 000 membres. C’est également le cas du WiFi. Certes le second s’est imposé sur le premier pour ce qui est des ordinateurs. Cela n’a pas empêché le Bluetooth de se retrancher vers d’autres appareils.

La coexistence du Bluetooth et du Wifi montre que les coopérations spontanées ont l’avantage de respecter la diversité des revendications sociales. Quant aux instances politiques, elles ne savent qu’utiliser la violence pour uniformiser au détriment d’une partie de la société. Derrière la définition politique des standards techniques se cachent souvent des velléités hégémoniques d’acteurs privés. Si je suis dans le secteur de l’informatique et que je fabrique des écrans de type X tandis que mon concurrent fabrique des écrans Y, il peut être intéressant pour moi d’inciter la puissance publique à rendre obligatoire les écrans de type X afin de jouir d’un avantage compétitif en mettant mes concurrents en difficulté ou dans l’illégalité. Dans ces conditions, sans doute est-il opportun de réfléchir à des coopérations volontaires pour résoudre des problèmes techniques avant de recourir aux instances politiques. Tout ceci n’est finalement qu’une question de subsidiarité.

Pendant ce temps, le marché européen…

Les élites politiques européennes prétendent vouloir étendre jusqu’aux États-Unis une zone de libre-échange qui n’existe pas sur le continent européen. Leur soi-disant libre-échangisme n’est qu’un vocabulaire politique destiné à dissimuler leur volonté d’étendre le terrain de jeu des corporations dominantes par la consolidation de leurs privilèges à l’échelle supranationale. Avant de songer à un marché transatlantique, peut-être y a t-il lieu de considérer la nécessité d’amorcer la déconstruction de l’environnement institutionnel qui a favorisé le développement actif de ce capitalisme de connivence qui dénature la finalité de notre marché. Celui-ci s’apparente désormais à une arène dans laquelle chacun essaie d’obtenir un avantage au détriment d’autrui afin de mieux le piller. Outre la propriété intellectuelle, faut-il énoncer d’autres exemples pour s’en apercevoir ?

La carte des professions réglementées établie par la Commission européenne montre que la libre-circulation des services et des personnes est une fiction. Ces professions réglementées seraient au nombre de 5088. L’exécutif communautaire ne semble malheureusement pas décidé à abolir ces privilèges. Rajoutons à cela les nombreuses activités productives qui font l’objet de règlementations insidieuses pour conforter les cartels. C’est par exemple le cas du secteur agroalimentaire qui fait l’objet d’une concentration inquiétante avec le soutien actif de la politique agricole commune. En ce qui concerne la régulation financière, l’Union européenne érige de manière hypocrite un système chimérique de supervision des banques tout en refusant de s’attaquer à leur monopole [1] et en perpétuant leur déresponsabilisation via des politiques monétaires interventionnistes.

Vouloir négocier précipitamment avec les Etats-Unis au nom de la liberté et de la prospérité économique laisse entendre que ces notions sont acquises sur le plan européen, ce qui n’est absolument pas le cas. Il semble donc que seule une minorité qui aspire à étendre la portée de ses privilèges ait vraiment intérêt à la signature de cet accord. En effet, si le « libre-échange » tel que les politiciens le conçoivent était aussi bienveillant, il n’y aurait aucun problème à le promouvoir unilatéralement en prenant l’initiative d’abolir toutes nos barrières. Le simple fait de devoir longuement négocier pour aboutir à un accord intergouvernemental constitue en soi la preuve que les libertés individuelles ne seront point au cœur de ces discussions. Faut-il s’en étonner quand ce n’est tout simplement pas dans l’intérêt des corporations à la tête des puissances publiques ?

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Vos commentaires
  • Le 19 avril 2015 à 12:20, par Bernard Giroud En réponse à : TTIP : Un accord protectionniste et corporatiste loin des logiques libre-échangistes

    Toujours aussi tranchant, notre jeune ami ! L’ensemble de l’exposé me parait faire un tour partiel de la question de l’interdépendance des mondes du travail de l’Europe de l’ouest et de l’Amérique du nord. C’est un peu rapide, et simplificateur et habituel d’examiner cette situation de millions de consommateurs sous cet angle de confrontation de marchés,

    Il serait plus productif de prendre des attitudes plus imaginatives dans tous ces sujets plutôt que de rester dans la critique expectative ; Il faut suggérer des alternatives crédibles. Je concède que c’est plus difficile ;

    Ainsi, tout à la fois revenir à des concepts de justice sociale, voir, dit autrement , de pur bon sens, de répartition de moyens de vivre que permettent les adaptations, les inventions et les découvertes des richesses de ces siècles, me parait indissociable de la promotion de l’esprit d’aventure, de recherche, et d’entrepreneuriat.

    Ne restons pas sur l’aspect restrictif, que l’on connait trop souvent lorsque l’on parle d’économie, et de monde du travail, mais habituons nous à plus de liberté, d’audace, de vue différente, en un mot un regard neuf, qui s’émancipe d’un cadre que l’on croit protecteur. A force de nous croire protégés, nous générons de l’immobilisme, du recul, et pourquoi ne pas le dire, de la paresse, toutes formes confondues, physique, manuelle ou intellectuelle.

    En fait, il n’est pas de progrès sérieux et réels sans l’association des deux mondes dont nous sommes : l’esprit et la matière ; Il faut réintroduire, dans notre éducation, la noblesse de ce partenariat.

    Ainsi on retrouve le gout du concept lié à la matière, et cette souplesse de l’esprit qui peut jouer avec les assemblages différents, évolutifs, les améliorations, les inventions ; Le réalisme. Un bon esprit, une bonne tète, peu aussi avoir les mains dans le cambouis ;

    Il faut garder bien présent à l’esprit le sens des vraies valeurs ; Ainsi l’on sait que l’homme fait de l’argent, mais l’argent, lui, a-t-il jamais fait d’homme… !?

    Donc il ne faut pas avoir peur de tailler dans cette masse, dans ces « masses » ; Les dieux de ces sanctuaires de bourses n’ont pas toujours eu dans l’histoire aussi bonne presse ; Il est probable qu’un certain nombre de nos aïeux avaient raison. Ces masses ont aussi générés bien de mauvaises habitudes, et de mauvais produits, habitudes et produits qu’un monde de bon sens peut aussi remettre dans un chemin bénéfique au plus grand nombre.

    C’est probablement pour ce monde, le plus sur moyen de s’émanciper de ses peurs et de retrouver le gout du développement et donc du travail et de la participation pour le grand nombre.

    Nous allons bien comprendre , un jour, que nous n’en sommes qu’au début des chemins de la liberté.

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