Turquie-Grèce : bataille en Méditerranée sur fonds de tensions récurrentes

, par Volkan Ozkanal

Turquie-Grèce : bataille en Méditerranée sur fonds de tensions récurrentes

Les relations entre la Turquie et la Grèce ont toujours été animées par de la défiance, voire par de l’animosité. La faute à une Histoire tourmentée par des occupations réciproques, ottomane de la Grèce jusqu’au XIXème siècle, puis grecque de la Turquie au début du XXème. La faute également, depuis maintenant deux ans, aux hydrocarbures présents en mer Méditerranée, nouveau terrain d’affrontement des deux voisins.

Une Histoire hostile, des relations de voisinage problématiques

Historiquement, la Turquie et la Grèce partagent des caractéristiques qui leurs sont communes : même région, même douceur de vivre et même tempérament passionnel. Mais les deux voisins disposent également d’Histoires propres qui s’entre-mêlent, voire se lient entre elles. Sous le joug de l’Empire ottoman jusqu’à la Guerre d’indépendance de 1821 qui a permis la création de la République grecque, la Grèce va dès lors s’émanciper et sonner le glas pour l’Empire turc. Un siècle plus tard, l’Empire ottoman agonisant laisse place à une Turquie réduite, dépecée par le Traité de Sèvres. La Guerre d’indépendance turque (1922) est alors déclarée dans un esprit de reconquête nationale ayant jeté, cette fois, les bases de la future République turque (1923). Dès lors, les deux turbulents voisins vont vivre dans un climat de tension, atteignant son paroxysme en 1974 par la crise chypriote. A cette époque, le projet d’Enosis, le rattachement de l’île de Chypre à la Grèce, est annoncé par la Grèce des Colonels qui soutient alors un coup d’État à Chypre favorable au rattachement, celui-ci échoue alors et entraîne une intervention militaire turque éclaire dans le but de préserver les intérêts de la population turque de l’île et donc une partition en deux États distincts : l’un turc, l’autre grec.

Avec une partition de l’île en deux entités où le Nord est reconnu uniquement par la Turquie (KKTC), il est difficile de voir une amélioration des relations les années suivantes entre une Grèce entrant en 1981 au sein de l’Union européenne (CEE à l’époque) avec l’aide du président français de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, et une Turquie sous la coupe d’un régime militaire imposé par le Coup d’État de 1980 du Général Kenan Evren. Ce seront donc une vingtaine d’années de crises, de blocages - notamment sur la question des adhésion à l’Union européenne par la Grèce, qui freînera celle de la Turquie et poussera jusqu’en 2004 pour celle de Chypre- et de confrontation comme le montre la capture du chef du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) au Kenya, qui séjourna un bref moment à Athènes. Ces moments sont toutefois entrecoupés par de brèves accalmies, voire de solidarité entre deux pays régulièrement touchés par des tremblements de terre, notamment celui de 1999 à Izmit en Turquie.

Des querelles régulières, une certaine défiance et une vision totalement divergente sur la gestion de Chypre, revendiquée par la Turquie et défendue par la Grèce, vont mener à une défiance croissante de part et d’autre de la mer Egée. Certes, les années 2000 ont , pendant un moment, refroidi les ardeurs d’Athènes plus préoccupée par sa survie économique, ébranlée par d’une part la crise des « Subprimes » de 2008 et d’autre part par la crise de la zone euro de 2012. Face à elle, Ankara est devenu une nouvelle puissance économique régionale, qui se trouve être en plein développement. Deux points d’achoppement sont venus récemment remettre de l’huile sur le feu : la crise des migrants en 2015 et le conflit chypriote.

Du « chantage » des migrants à « Oruç Reis »

En 2015, suite à la crise syrienne provoquée par une guerre civile qui ensanglante le pays depuis 2011, de nombreux réfugiés sont venus aux frontières de la Turquie. Première porte d’entrée vers l’Europe, la Turquie a habilement utilisée la menace d’un déferlement de migrants aux portes de l’Europe, cela par la voix de son président, Recep Tayyip Erdoğan. La Grèce s’est alors retrouvée submergée par un afflux constant de personnes à ses frontières. Une véritable crise selon Athènes, qui s’est retrouvée en première ligne face à une Turquie demandant toujours plus. La crise des migrants a donc remis en lumière les relations tendues qu’entretenaient Athènes et Ankara, tensions accentuées depuis deux ans par la montée de la présence turque en mer Méditerranée.

Symbole de cette présence, le navire Oruç Reis (nom de Barberousse) chargée de prospecter d’éventuelles sources maritimes d’hydrocarbures. Puissamment protégée par la Marine turque, ce navire a été une source de tension, le président turc n’hésitant pas à menacer Athènes de « représailles » en cas d’attaque du navire. Tant et si bien que la Grèce a dû se tourner vers la France d’Emmanuel Macron pour armer sa marine et son aviation en commandant Frégates et Rafales. Un billard à trois bandes également, sur fond grec, se joue dès lors entre la France de Macron et la Turquie d’Erdoğan, qui s’opposent sur la Syrie ou la présence turque en Libye, et dont les relations oscillent entre rapprochements et tensions.

Liens rompus entre Athènes et Ankara : quelles conséquences ?

A travers les crises qui, pour certaines, ont été proches d’être militaires, les deux pays membres de l’OTAN, continuent leurs invectives. Pour les Grecs, il s’agit de se protéger d’éventuelles incursions turques dans leurs eaux territoriales tout en utilisant le levier européen pour protéger leurs intérêts ainsi que ceux de Chypre. L’autre objectif pour la Grèce est de tenter de contrer la menace d’une éventuelle ouvertures des frontières turques qui déclencherait une ’arrivée massive de migrants. La volonté grecque porte ses fruits, puisque l’on a vu récemment la candidate française à la présidence de la République du parti « Les Républicains », Valérie Pécresse, venir soutenir la Grèce face aux velléités turques : « Athènes doit être soutenue contre les provocations d’un pays qui viole le droit international et n’hésite pas à prendre l’Europe en otage pour satisfaire ses ambitions régionales. La France sera toujours aux côtés de la Grèce ».

En face, du côté turc, les passes d’armes face à Athènes permettent de régénérer le bloc de soutien au parti présidentiel, l’AKP, et à son leader, R. Erdoğan. Un moyen de politique intérieure qui permet tant de fédérer les soutiens du président turque de montrer que la Turquie est toujours bien présente et, est prêt à défendre son pré carré. Difficile donc de voir une possible amélioration entre une Grèce sous la menace directe d’un voisin montrant ses muscles, et une Turquie qui a besoin, à travers son président, de continuer à souffler sur les braises pour sécuriser ses ressources et trouver de nouveaux débouchés notamment économiques. Avec la perte de valeur de la Livre turque et les prochaines élections qui auront lieu en Turquie, en 2023, année du centenaire de la République, chaque partie devra jouer finement à un jeu devenu dangereux.

Dans ces conditions, la décision de la présidente grecque, Ekateríni Sakellaropoúlou, d’édifier un monument dédié aux Grecs pontiques - présents sur la mer Noire jusqu’à leur massacre en 1915 par les troupes ottomanes - risquent de (re)mettre de l’huile sur le feu. C’est donc une nouvelle fois des soubresauts qui risquent de venir envenimer une situation dans laquelle les parties turque et grecque tentent de sauver la face, tout en ne s’empêchant pas d’attaquer l’autre. Un voisinage difficile entre deux pays si lointains sur bien des aspects, mais pourtant si proches sur d’autres. Dès lors, la mer Méditerranée et ses ressources, Chypre, les migrants ou les Rafales français vont rythmer l’actualité aussi bien du côté d’Athènes que de celui d’Ankara. Reste à savoir jusqu’où pourraient aller la tension entre les deux voisins turbulents du pourtour méditerranéen.

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