Turquie : Istanbul pleure ses morts, Erdogan serre la vis

, par Jacques Vervier

Turquie : Istanbul pleure ses morts, Erdogan serre la vis
Istanbul a connu mardi un attentat meurtrier dans le quartier touristique de la ville, place Sultanahmet, non loin de la mosquée bleue. - Caribb (CC/Flickr).

Istanbul a été frappée mardi par une attaque à la bombe perpétrée par un ressortissant syrien, très probablement membre de Daesh selon les autorités turques. Après la mort d’au moins dix touristes allemands, bon nombre d’Européens « sont Istanbul ». Or, il ne s’agit là que de l’arbre qui cache la forêt. Ankara joue un double jeu à ses frontières – plus que poreuses – à l’égard de Daesh et les questions gravitant autour du trafic de pétrole de l’organisation terroriste en Turquie sont nombreuses. Les dirigeants de l’Union restent cependant muets sur l’affaire.

Après la tragédie qui a touché des ressortissants européens place Sultanahmet, l’expression de notre solidarité avec les Turcs est immense. Il convient toutefois de rappeler ce qui touche tous les jours des milliers de nos voisins vivant un peu plus à l’Est du détroit du Bosphore, les actions et décisions d’Ankara qui nuisent aux droits les plus fondamentaux de ses citoyens, et qui vont à l’encontre des valeurs prônées par les pères fondateurs de l’Union.

Après cette attaque terroriste, comme à l’accoutumée, les autorités turques ont ordonné un black-out médiatique. Cette mesure, rendue possible par la loi n° 6112, a pour objectif de « servir les intérêts d’enquêtes » ou encore de ne pas aller à l’encontre de « l’éthique ». Malheureusement, dans les faits, cette mesure permet au gouvernement de manipuler l’opinion publique à sa guise. Ce n’est qu’une fois que les autorités ont fait part de leur version des faits que les médias peuvent commencer à s’exprimer, un peu, mais pas vraiment librement. Dans ce sens, il est intéressant d’analyser les propos qu’a tenus celui qui récemment a vanté les vertus du régime totalitaire nazi.

Alors qu’il se trouvait à la 8e conférence des ambassadeurs, Recep Tayyip Erdoğan, a pris la parole après l’explosion pour condamner toutes les formes de terrorisme ainsi que toutes les organisations terroristes. C’est à la même occasion qu’il a rappelé que l’on est soit avec le gouvernement turc, soit du côté des terroristes, en faisant référence à un appel à la paix [1] lancé par plus d’un millier d’intellectuels turcs et internationaux – dont Noam Chomsky, Judith Butler, Etienne Balibar et David Harvey –, un appel qui dénonce les violences perpétrées par le gouvernement dans l’Est du pays, notamment contre la minorité kurde.

Dans cette région du pays, plusieurs villes pro-kurdes sont assiégées, des civils massacrés, des enfants tirés comme des lapins. Les lignes électriques sont coupées, les écoles et autres bâtiments en tout genre, rasés. Les corps qui traînent dans les rues pourrissent et servent d’appât pour les tireurs embusqués du président ou sont emportés par les forces de l’ordre. Les militants et activistes qui osent dénoncer ces faits sont intimidés, dans les meilleurs des cas.

Entre le discours d’Erdoğan condamnant « toutes les formes de terrorisme » (dont l’appel à la paix) et la rédaction de cet article, l’expulsion de certains universitaires turcs a été envisagée, la poursuite judiciaire d’autres également. En outre, Sedat Peker, un nationaliste turc ne cachant pas ses liens avec les autorités – mais avant tout un grand criminel ayant déjà été inculpé à des peines dérisoires pour avoir été à la tête d’une organisation criminelle, mais jamais pour meurtre – a déjà annoncé que « [lui et les siens] allaient se doucher sous le sang [des universitaires ayant signé l’appel de paix] qui coulera à flots ».

Aujourd’hui, alors que nous sommes tous émus par ce qui s’est passé à Istanbul, il faut dénoncer avec force les atrocités, toutes ces atrocités. Les dirigeants européens se doivent de réagir fermement contre les terroristes, d’exprimer leur solidarité avec les Turcs et les familles touchées par les attentats que connaît le pays, de conjuguer leurs efforts contre ce mal du XXIe siècle, mais il faut également exiger d’eux qu’ils soient fermes avec leurs alliés, et impassibles lorsque ces derniers commettent des actes qui sont totalement indignes d’une démocratie, d’un Etat de droit, et qui vont à l’encontre des principes défendus par l’Union européenne, prérequis de base aux candidats à l’adhésion.

Pour soutenir l’appel à la paix d’universitaires turcs, rendez-vous sur le site www.barisicinakademisyenler.net/node/63, une traduction est disponible en ligne.

Pour signer, envoyer nom, qualité et affiliation à info chez barisicinakademisyenler.net.

Le gouvernement turc a commencé à arrêter les signataires de l’appel à la paix, rebondissements de l’affaire à lire dans Libération.

Notes

[1Nous, enseignants-chercheurs de Turquie, nous ne serons pas complices de ce crime !

L’État turc, en imposant depuis plusieurs semaines le couvre-feu à Sur, Silvan, Nusaybin, Cizre, Silopi et dans de nombreuses villes des provinces kurdes, condamne leurs habitants à la famine. Il bombarde avec des armes lourdes utilisées en temps de guerre. Il viole les droits fondamentaux, pourtant garantis par la Constitution et les conventions internationales dont il est signataire : le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.

Ce massacre délibéré et planifié est une violation grave du droit international, des lois turques et des obligations qui incombent à la Turquie en vertu des traités internationaux dont elle est signataire.

Nous exigeons que cessent les massacres et l’exil forcé qui frappent les Kurdes et les peuples de ces régions, la levée des couvre-feux, que soient identifiés et sanctionnés ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’homme, et la réparation des pertes matérielles et morales subies par les citoyens dans les régions sous couvre-feu. A cette fin, nous exigeons que des observateurs indépendants, internationaux et nationaux, puissent se rendre dans ces régions pour des missions d’observation et d’enquête.

Nous exigeons que le gouvernement mette tout en oeuvre pour l’ouverture de négociations et établisse une feuille de route vers une paix durable qui prenne en compte les demandes du mouvement politique kurde. Nous exigeons qu’à ces négociations participent des observateurs indépendants issus de la société civile, et nous sommes volontaires pour en être. Nous nous opposons à toute mesure visant à réduire l’opposition au silence.

En tant qu’universitaires et chercheurs, en Turquie ou à l’étranger, nous ne cautionnerons pas ce massacre par notre silence. Nous exigeons que l’Etat mette immédiatement fin aux violences envers ses citoyens. Tant que nos demandes ne seront pas satisfaites, nous ne cesserons d’intervenir auprès de l’opinion publique internationale, de l’Assemblée nationale et des partis politiques.

Pour signer envoyer nom, qualité et affiliation à info chez barisicinakademisyenler.net

www.barisicinakademisyenler.net/node/63.

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