UE-Chine : un accord global sur les investissements, protectionniste ?

, par Corentin Vinsonneau

UE-Chine : un accord global sur les investissements, protectionniste ?
source : Conseil de l’UE

Le 7 décembre 2020 se tenait le 35ème tour des négociations entre l’Union et la Chine concernant la signature d’un accord bilatéral sur les investissements. Depuis le cycle de Doha en 2000, le système multilatéral est voué à l’échec et l’Union européenne essaie de revenir au bilatéralisme pour échanger, avec de nouveaux types d’accords plus intrusifs qu’avant. Les accords internationaux sont négociés par la Commission ou le haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité commune, et validés par le Conseil. Depuis quelques années, l’Union conclut des accords dits de nouvelle génération, comprenant un volet sur les investissements. Lors du Sommet UE-Chine de 2019, les représentants ont mis l’accent sur la nécessité de parvenir à un accord global sur les investissements.

Qu’est-ce qu’un accord sur les investissements ?

L’origine des accords sur les investissements remonte à l’obligation faite aux Etats d’assurer une certaine protection aux personnes et aux biens présents sur leur territoire. Ses prémices remontent au XVIIe et XVIIIe siècle, et à la volonté manifestée par les Etats européens qu’une protection soit assurée à leurs ressortissants et à leurs biens lorsque ceux -ci se trouvent dans un territoire étranger.

En ce sens, c’est ce qu’exprime Emer de Vattel : « Un Etat ne peut pas admettre des étrangers sur son territoire pour les faire tomber dans un piège ….. ». Cela conduit donc à la conclusion de traités d’amitié, de commerce et de navigation, entre les États-Unis et les pays européens pour développer des échanges commerciaux entre États, contenant des dispositions relatives aux questions commerciales, de douanes, navigations fluviales et maritimes, relations consulaires et condition des étrangers.

À partir du XIXè siècle, de nombreux Européens exerçant des activités économiques investissent en Amérique centrale et du Sud, en Asie, et en Russie. On voit des États conclure des contrats de concession et d’exploitation de ressources avec des entités étrangères. Ces activités ne vont pas manquer de susciter des contentieux.

À la suite de ces contentieux va se poser la question d’identifier des règles juridiques applicables à ces opérations transnationales. Est-ce que ces activités sont régies uniquement par le droit national de l’Etat d’accueil de l’investissement ou également par les normes internationales ? On va alors élever au niveau international un litige concernant un État et une personne privée. La conséquence de ces litiges est le paiement d’une compensation de la part de l’État qui a porté préjudice mais cela est conditionné. Les États concluent ainsi, ce qu’on appelle un traité bilatéral d’investissement (TBI).

La prolifération des TBI s’explique à la base par une remise en cause du droit international quant au traitement des étrangers après la Seconde Guerre mondiale. Les États issus de la décolonisation remettent alors en cause l’ordre international économique établi par les anciennes puissances coloniales.

Concernant la Chine, elle a conclu un TBI sur la protection des investissements des étrangers avec chaque État membre de l’Union sauf l’Irlande. Rien n’a été signé dans le cadre d’un plus grand accès au marché chinois. D’où l’importance de cet accord global sur les investissements.

Des négociations stratégiques ?

Les négociations ont débuté en 2013, et afin d’en permettre l’avancée, une nouvelle stratégie de coopération UE-Chine a été mise en place. Pour l’Union, nul doute que cet accord est une avancée puisqu’elle veut renforcer sa présence sur le marché chinois et augmenter ses investissements à l’étranger. Cependant de nombreux points ont dû être négociés. L’accord pose une obligation d’accès aux marchés, le principe de non-discrimination, des règles de concurrence, un mécanisme de règlement des différends, et des normes sociales et environnementales.

L’obligation d’accès aux marchés est une demande de l’Union afin que les entreprises étrangères bénéficient des règles de concurrence pures et parfaites. Dans l’accord, certains secteurs sont exclus du champ d’application, comme les services audiovisuels et de transport aérien.

Les règles du marché en Europe et en Chine ne sont pas les mêmes. La Chine n’a pas de cadre juridique unique pour tous les types d’entreprises et aide plus facilement ses entreprises publiques. Elle a promulgué la loi sur l’investissement étranger en 2019, intégrant une liste négative des secteurs protégés. Cette liste négative interdit de facto, certains investissements étrangers dans des secteurs d’activités comme les services d’informations, ou établit des restrictions ou limitations dans l’investissement dans d’autres types de secteurs comme l’industrie, télécommunications. Cela permet une protection plus efficace des investissements y compris dans le cadre de la propriété intellectuelle favorisant l’interdiction des transferts de technologies forcées. En Europe, toutes les entreprises sont régies par le droit des sociétés et le droit de la concurrence. Afin de respecter les règles du jeu du marché, des règles de transparence spécifiques ont été ajoutées, en obligeant les parties à des contrôles réciproques .

L’Union essaie d’imposer sa diplomatie dans ce type d’accord afin d’assurer une meilleure garantie aux investisseurs étrangers, qu’ils soient présents tant sur le marché européen que chinois. D’ailleurs, c’est sur le système de règlement des différends que l’on retrouve la force de l’Europe dans la soumission à son modèle de règlement des litiges.

Mais quid du règlement des différends dans ce traité ?

Le règlement des différends avec l’OMC a rencontré du succès. Ses membres se sont approprié ce système de règlement des différends et l’utilisent souvent. Ils s’en inspirent également puisque désormais lorsqu’ils effectuent des accords régionaux ou bilatéraux, ils mettent en place dans ces accords des systèmes de règlement des différends qui sont calqués sur la procédure OMC.

L’Union européenne s’efforce lorsque celle-ci conclut des accords avec des pays tiers à y insérer un mécanisme de règlement des différends. Depuis plusieurs années, les accords externes de l’Union sont de plus en plus nombreux et concernent plusieurs domaines comme celui de l’abaissement des tarifs douaniers garantissant une meilleure compétitivité entre les entreprises de l’Union.

Dans l’accord global entre l’Union et la Chine est prévu un système de règlement en deux étapes basées sur des consultations, avec possibilité de médiation. En cas de désaccord, un recours à une procédure d’arbitrage est prévu. Mais la principale innovation dans cet accord est d’opposer le litige non pas entre un État et un individu mais entre un État et un autre État.

Le mécanisme de règlement des différends est un outil essentiel dans la réussite d’un tel accord afin de garantir une protection efficace des investissements étrangers. Reste à savoir comment l’Union se place dans sa stratégie afin d’obtenir un maximum de bénéfices dans cet accord avec la Chine.

Quelle stratégie européenne pour l’accord sur les investissements ?

Dans sa stratégie de coopération UE-Chine 2020, l’Union a établi un contrôle du dumping. Les mesures anti-dumping permettent de contrer les effets que génèrent une entité qui exporte un produit à un prix inférieur à celui qu’elle pratique normalement sur son propre marché intérieur. Ce dumping peut être nocif pour les emplois au sein de l’Union européenne. Conformément aux règles de l’OMC une enquête peut être envisagée dans le cas d’un produit faisant l’objet d’un dumping causant un préjudice aux industries nationales. L’Union a mis en œuvre les règles de l’OMC dans deux règlements européens, le règlement n°1225/2009 sur la lutte anti-dumping et le règlement n°597/2009 sur la lutte anti-subventions.

Afin de calculer les effets du dumping, une enquête a été mise en place afin de démontrer que la Chine est une économie de marché. Si tel n’était pas le cas, l’UE les retirerait de la liste des pays à économie de marché dans la législation antidumping de l’UE. À l’heure actuelle, la Chine n’a pas démontré qu’elle était une économie de marché selon les critères établis par la législation européenne sur la lutte antidumping. A cet effet, l’analyse demandée par la Commission revêt un caractère important.

Autre outil de l’Union dans sa défense commerciale : les aspects environnementaux et sociaux. Dans l’accord est fait mention du développement durable et du mécanisme pour traiter les différents engagements pour garantir les normes de travail et de protection de l’environnement pour attirer les investisseurs. Cela permet par la suite de mettre en œuvre efficacement les accords multilatéraux sur l’environnement les accords de Paris. Cela encourage également la mise en œuvre des conventions de l’Organisation Internationale du Travail concernant le travail forcé.

Cette avancée sur les normes environnementales et sociales a été soulevée par l’eurodéputé EELV Yannick Jadot Vice-Président de la commission “Commerce international” et Responsable de l’anti-dumping pour les Verts/ALE, déclarant que « La nouvelle méthodologie de calcul du dumping va permettre à l’Union européenne d’évaluer largement les distorsions de concurrence et d’imposer des taxes correctives pour des pays comme la Chine dont on sait qu’elle pratique des stratégies de dumping très agressives, avec des conséquences dramatiques pour nos entreprises, nos salariés et nos emplois.” L’Union, via sa politique commerciale, se veut promotrice des normes environnementales et sociales, mais également défenseuse de son industrie. Reste à voir comment entrera en vigueur cet accord sur les investissements avec la Chine.

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