Un Conseil européen sans fin pour désigner les « Top Jobs »

, par Thomas Arnaldi

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Un Conseil européen sans fin pour désigner les « Top Jobs »
Crédits : © European Union / Source : Conseil Européen Au matin du 1er juillet, les chefs d’Etat et de gouvernement se retrouvent autour d’un petit-déjeuner pour un nouveau round de négociation

A la mi-journée le 1er juillet 2019, Donald Tusk, Président du Conseil européen, a suspendu les travaux du Conseil pour les reprendre le lendemain à 11h00. Le Sommet européen extraordinaire dont l’objectif était d’accorder les 28 chefs d’Etat et de gouvernement sur les noms des « Top Jobs » se solde par un « échec ».

La nuit a été particulièrement longue pour les chefs d’Etat et de gouvernement européens réunis en Conseil européen extraordinaire à Bruxelles depuis la fin d’après-midi du 30 juin. L’objectif de cette réunion consistait à élaborer un compris sur la nomination des postes à responsabilité de l’Union européenne (Top Jobs), dont les mandats sont arrivés ou arrivent à échéance à la suite des élections européennes du 26 mai dernier. Parmi les négociations, la nomination de la Présidence de la Commission européenne, celle du Parlement européen, du Conseil européen ainsi que la Haute représentation de l’Union européenne pour les affaires extérieures. La Présidence de la Banque centrale européenne devait, quant à elle, faire l’objet d’une nomination ultérieure.

L’enjeu des Spitzenkandidaten

Conformément aux traités européens, le Conseil européen propose un candidat à la Présidence de la Commission européenne à la majorité qualifiée renforcée (72% des Etats membres représentant 65% de la population) « en tenant compte des résultats aux élections européennes ». Ce candidat doit ensuite être élu à la majorité des membres du Parlement européen. Si l’ordre du jour de la réunion du Conseil européen paraissait donc simple en s’accordant sur le nom des personnalités qui dirigeront l’Union pour les prochaines années, l’équilibre institutionnel, politique et intergouvernemental sur le choix des noms à responsabilité est à son plus haut point de complexité. Il faut effectivement tenir compte des partis politiques, des nationalités, des affinités, des disparités territoriales, de la parité ainsi que des critères fixés par les dirigeants européens.

En 2014, le principe des Spitzenkandidaten a revigoré l’influence des partis politiques européens et du Parlement européen en choisissant des têtes de listes dont le nom devait être soumis au vote du Parlement. C’est selon cette modalité qu’a pu être choisi Jean-Claude Juncker, l’actuel Président de la Commission européenne qui se délecte aujourd’hui des difficultés à le remplacer. Lors des élections européennes, la droite conservatrice européenne (Parti populaire européen, PPE) a choisi Manfred Weber comme Spitzenkandidat, tandis que les sociaux-démocrates (S&D) se rangeaient derrière Frans Timmermans. Les libéraux (Renew Europe, ex-ADLE) avaient quant à eux élaboré une Team Europe avec plusieurs noms dont celui de la danoise Margrethe Vestager. Si le Parlement européen a refusé à plusieurs reprises dans ses résolutions toute proposition de candidat qui ne soit pas un Spitzenkandidat, ce n’est pas le cas du Conseil européen qui a déjà refusé les Weber, Timmermans et Vestager lors de votes formels à la mi-juin.

Les critères fixés sur la compétence, l’expérience et la parité

Emmanuel Macron a ainsi posé ses conditions à la nomination de la Commission européenne, parmi lesquels la compétence pour le poste, une expérience gouvernementale et européenne à la hauteur de la fonction, et une parité des postes à responsabilité dont la désignation impute au Conseil européen (Présidence de la Commission européenne, Haute Représentation pour les Affaires extérieure et la Politique de Sécurité et de Défense Commune, Conseil européen, Banque centrale européenne), faisant de Frans Timmermans, Margrethe Vestager et Michel Barnier (négociateur en chef pour l’Union européenne du Brexit) ses favoris, et éliminant de fait Manfred Weber, candidat soutenu par la Chancelière allemande Angela Merkel.

Un premier compromis autour du couple franco-allemand lors du G20 à Osaka a ainsi permis d’unifier Mark Rutte (Pays-Bas), Emmanuel Macron (France), Angela Merkel (Allemagne) et Pedro Sanchez (Espagne) sur le nom de Frans Timmermans. Angela Merkel abandonnait ainsi son favori Manfred Weber à la Présidence de la Commission européenne tout en équilibrant le jeu politique avec sa coalition nationale avec les sociaux-démocrates (SPD).

Or, aucune majorité ne s’est éclipsée sur sa personne lors de la précédente réunion des chefs d’Etats et de gouvernement les 20 et 21 juin derniers. Frans Timmermans, actuel premier vice-président de la Commission européenne, polyglotte et ancien ministre des affaires étrangères néerlandais, a eu à cœur d’œuvrer en faveur de l’Etat de droit durant son mandat, quitte à critiquer avec véhémence les gouvernements polonais et hongrois. La solidarité du groupe de Visegrad (Slovaquie, République Tchèque, Pologne et Hongrie) s’oppose donc fermement à Frans Timmermans. Certains chefs de gouvernements conservateurs (Croatie, Lettonie et Chypre) résistent par ailleurs à la proposition du social-démocrate au motif que le Parti populaire européen est sorti vainqueur des élections européennes. Quant à l’Italie et son premier ministre Giuseppe Conte, un jeu d’équilibre s’opère pour tirer au mieux profit du paquet de nomination. Dès lors, aucune majorité qualifiée n’émerge et le Conseil européen ne peut que constater son échec.

Pourtant, plusieurs dirigeants européens ont souligné combien ils étaient proches d’aboutir à un compromis. Plusieurs schémas de propositions de candidats revenaient à plusieurs reprises dans la nuit et dans la matinée de la réunion, ponctuée de négociations informelles et de réunions en plénière. Le néerlandais Frans Timmermans (S&D) à la Commission européenne, la bulgare Kristalina Georgieva (PPE) à la Présidence du Conseil européen, la danoise Margrethe Vestager (Renew Europe) ou le belge Charles Michel (Renew Europe) à la Haute représentation de l’UE et/ou première vice-présidence de la Commission européenne, ainsi que Manfred Weber (PPE) et Guy Verhofstadt (Renew Europe) se splittant la Présidence du Parlement européen.

Le Conseil européen, maitre des horloges ?

Si les Etats membres sont si pressés d’aboutir à un consensus sur les postes à pourvoir, c’est que l’équilibre institutionnel entre les partis politiques et les nationalités des nominés comprend également celle de la Présidence du Parlement européen qui doit être élu lors de la session plénière inaugurale à Strasbourg qui s’ouvre à partir de mardi 2 juillet au matin. A l’ordre du jour, l’élection de la Présidence est prévue pour le mercredi, les partis politiques menant les dernières négociations sur la répartition des commissions, des vice-présidences, des questeurs et autres postes à responsabilité à l’intérieur de la chambre strasbourgeoise, laissant un court répit aux chefs d’Etats et de gouvernement pour trouver un accord.

Soulignant l’échec des négociations et du manque de coopération de certains de ses homologues, Emmanuel Macron a déclaré devant les journalistes à la sortie du Conseil que « notre crédibilité est profondément entachée avec ces réunions trop longues qui n’aboutissent à rien. Nous donnons une image de l’Europe qui n’est pas sérieuse ». Avec des traits tirés, le Luxembourgeois Xavier Bettel comptait le nombre d’heures passés en négociation tout au long de la nuit tandis que la Chancelière Angela Merkel soulignait l’importance d’aboutir à « un compromis interinstitutionnel » qui satisfait l’ensemble des équilibres européens.

Juste avant la suspension de séance réclamée par Donald Tusk, un vote indicatif non-formel a eu lieu après plus de 18 heures de négociations. L’accord englobant le package n’a pas permis de faire émerger de majorité qualifiée, condition essentielle pour nommer le Président de la Commission européenne, préférant ainsi la solution d’une suspension plus longue jusqu’à mardi matin à 11h00 afin de poursuivre les consultations et faire émerger le compromis.

Le Conseil européen, débuté fin juin et terminé en juillet, sera réputé comme l’un des plus longs de son histoire. Si le record de la crise grecque en 2013 a été battu (17 heures de négociations), de nombreuses voies exténuées sonnaient pour réformer le processus de décisions des nominations au sein du Conseil européen en révisant profondément les méthodes intergouvernementales afin d’obtenir « une avancée plus démocratique et plus efficace de notre fonctionnement collectif » selon Emmanuel Macron.

Si réforme il y a, elle doit s’inspirer d’un modèle parlementaire classique dans lequel le Premier ministre (Présidence de la Commission européenne) est issu des rangs de la majorité qui repose sur un programme unissant plusieurs partis au sein d’une coalition. Si le Conseil européen n’aboutit pas à un compromis rapidement, il risque de perdre la main sur le calendrier des nominations, le Parlement disposant alors d’un poids considérable dans la pression politique jouant sur la balance des négociations. Le PPE, S&D, Renew Europe et les Verts ont désormais toute influence à jouer pour faciliter l’équilibre sans nécessairement dépendre du poids des Etats membres de l’Union européenne.

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