Andreï Sakharov, le célèbre militant soviétique pour les droits de l’homme, récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1975, parlait toujours de sa « foi inébranlable dans la force cachée de l’esprit humain ». C’est par cette anecdote historique qu’Ursula von der Leyen a commencé son discours sur l’état de l’Union devant les députés européens à Bruxelles (la session plénière devait initialement se tenir à Strasbourg).
Et cette citation de Sakharov « résume parfaitement l’état d’esprit de l’Union européenne ces six derniers mois » pour la présidente de la Commission. La pandémie de coronavirus qui sévit dans le monde entier, et particulièrement en Europe, a en effet montré que notre modèle de société était devenu « obsolète ». L’UE doit ainsi repenser sa manière de produire et de consommer.
C’est en ce sens que la Commission a adressé à David-Maria Sassoli et Angela Merkel (l’Allemagne assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’UE) une lettre d’intention présentant le plan d’action de la Commission pour l’année qui suit. La réponse économique et institutionnelle à la COVID-19 représente bien évidemment une priorité avérée, mais d’autres défis de plus long terme, comme la transition écologique, le numérique, ou encore l’état de droit, doivent faire l’objet de la même attention qu’avant la pandémie.
L’UE face à une pandémie décisive pour son intégration
Avant toute chose, Ursula von der Leyen a tenu à rappeler une chose : le coronavirus n’est pas derrière nous : « la pandémie n’est pas finie, les Européens continuent de souffrir […] l’UE doit continuer de protéger leur vie ». Et la présidente de la Commission de mieux mettre en exergue toute l’ingéniosité de l’action européenne durant cette crise : « notre Union en a fait plus que jamais dans son histoire […] des voies vertes d’acheminement ont été mises en place pour pallier les ruptures d’approvisionnement induites par les fermetures de frontières. Des dispositifs médicaux ont été mis à disposition là où c’était nécessaire. Notre mécanisme de protection civile s’est également avéré efficace ».
En somme, l’UE a pu réagir « sans compétences claires et limpides dans le domaine de la santé » (l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE n’octroie pour le moment à l’Union qu’une compétence d’appui aux actions nationales dans les politiques de santé publique). Pour von der Leyen, le moment est venu de créer une véritable « Union de la santé », en augmentant notamment les moyens financiers destinés à certains programmes, comme EUforHealth dans la prévention des menaces sanitaires transfrontalières, ou en créant de nouvelles agences, dans la recherche biomédicale.
L’Union doit donc tirer des leçons « institutionnelles » de ce coronavirus, en renforçant ses compétences en matière de santé, « notamment en prévision de la Conférence sur l’avenir de l’Europe », la plateforme de discussion de la Commission et du Parlement européens pour renforcer la démocratie européenne. Ces leçons doivent également être prise au niveau mondial : « avec le premier ministre italien Giuseppe Conte, nous allons organiser, dans le cadre de la présidence italienne du G20, un sommet mondial de la santé en 2021 ». L’occasion pour Ursula von der Leyen de rappeler toute l’importance de la gouvernance multilatérale au niveau mondial « nous avons besoin d’une ONU, d’une OMS et d’une OMC fortes ».
Ces leçons doivent être aussi économiques, la récession promettant d’être sévère. C’est tout l’enjeu du plan Next Generation EU, le plan de relance voté fin juillet lors d’un Conseil européen historique et basé sur un emprunt européen de 750 milliards d’euros sous forme de subventions et de prêts. La stratégie industrielle, ou encore le débat sur les ressources propres ont ainsi toute leur place dans la relance économique, même si von der Leyen a encore une fois évoqué en des termes vagues la fiscalité numérique ou la taxe carbone aux frontières du marché unique.
Transition énergétique, numérique, État de droit… l’UE réaffirme ses ambitions
Toutefois, l’acuité de la pandémie de coronavirus ne saurait faire oublier les autres grands enjeux auxquels l’Union européenne est confrontée depuis plusieurs années, la lutte contre le changement climatique venant en tête. « L’état de notre monde a mis en exergue la fragilité de notre planète. Nous devons construire le monde de demain, et ce monde de demain, c’est le plan Next Generation EU […]. 30% des financements devront être alloués aux projets respectant les objectifs du Pacte vert pour l’Europe ».
Ce Pacte vert, politique-phare de la Commission von der Leyen, mais dont la pertinence a été mainte fois remise en cause en cette période de pandémie, a fait l’objet d’une grande importance durant le discours. La présidente de la Commission a notamment souligné l’importance de l’objectif de neutralité climatique en 2050, mais également de l’objectif intermédiaire de 55% de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990 « notre étude d’impact a montré que c’était possible et bénéfique pour l’économie européenne ». Le développement technologique, en particulier dans l’hydrogène et l’acier propres, doit également retenir toute l’attention de la Commission.
Le numérique a été un autre sujet d’importance pointé. L’UE doit en effet devenir une puissance normative dans un monde où les données, personnelles et industrielles, sont de plus en plus importantes et font l’objet d’un commerce intense. Elle doit également investir dans des projets spécifiques, comme le cloud européen ou encore les infrastructures de la 5G et de la fibre optique. Les moyens financiers devraient également être rehaussés, puisque 20% de Next Generation EU sera alloué à ces projets.
Preuve de sa volonté à faire de son mandat une « Commission géopolitique », Ursula von der Leyen a longuement évoqué la politique étrangère lors de son discours sur l’état de l’Union. La Chine avec les Ouïghours et Hong-Kong, le Bélarus avec la révolte contre Loukachenko, la Russie avec l’empoisonnement d’Alexeï Navalny « un cas loin d’être isolé », la Turquie et les tensions en mer méditerranée, le processus d’élargissement ainsi que la politique de voisinage, les partenariats commerciaux stratégiques, en particulier avec l’Afrique… et enfin le Brexit, complètement embourbé dans des négociations sans fin, la Commission a tenté d’apporter une envergure mondiale à l’action européenne, tout en avançant des propositions concrètes, comme la réforme de la politique migratoire européenne, ou l’introduction du vote à la majorité qualifiée sur les questions liées aux droits de l’homme et aux valeurs de l’UE. Une annonce visant directement certains pays d’Europe centrale, comme la Hongrie ou la Pologne.
Pour son premier discours sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen a donc rappelé à quel point l’Union européenne faisait face à une crise, mais dans le sens grec du terme (cette pandémie doit nous pousser à prendre un certain nombre de décisions qui pourraient s’avérer bénéfiques dans le futur). Pour que ces promesses d’un avenir meilleur se concrétisent réellement, il faut désormais se mettre au travail !
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