Narendra Modi : une popularité indéniable mais des fragilités
La popularité de Narendra Modi tient beaucoup au bon état de l’économie indienne : ayant hérité d’une situation économique compliquée en 2014, il a libéralisé le pays, ce qui a permis à l’Inde d’avoir un des taux de croissance les plus élevés au monde (8,2% en 2023 contre 5,2% pour la Chine) et ainsi de devenir la 5ème plus grosse économie mondiale. De plus, le soutien massif à l’innovation a permis de développer des secteurs de pointe comme l’informatique ou la production de médicaments.
Malgré un développement économique significatif, assez peu d’Indiens sont sortis de la pauvreté car ce sont surtout les Indiens les plus riches qui en ont bénéficié : les inégalités sont ainsi au plus haut depuis l’indépendance avec 1% des plus riches concentrant 40% des richesses. Les inégalités de revenus sont même supérieures à celles observées à la fin de la période coloniale, dans les années 30.
Modi a longtemps capitalisé sur son origine modeste et la mise en place de programmes sociaux, qui ont apporté une amélioration réelle, mais la situation reste difficile pour beaucoup d’Indiens, y compris pour les plus diplômés : 45% des jeunes de 20-24 ans sont au chômage, et 60% de la population vit toujours avec moins de 5 dollars par jour.
L’une des principales critiques formulées à l’encontre de Narendra Modi concerne ses atteintes à la démocratie. Depuis son arrivée au pouvoir, la liberté de la presse s’est réduite et les contrôles fiscaux semblent être utilisés comme une arme contre l’opposition : l’indice de démocratie indien est ainsi passé de 7,9 en 2014 à 7,2 aujourd’hui. Cependant, ces critiques doivent être modérées. L’Inde n’est pas devenue un Etat autoritaire et est encore loin de l’être (la Bulgarie a par exemple un score de 6,4 et la Roumanie de 6,5) mais se rapproche d’une “démocratie illibérale”.
De plus, le parti du Congrès semble être hypocrite dans ses critiques du gouvernement : son leader, Raoul Gandhi (sans lien familial avec Gandhi), est ainsi le petit-fils d’Indira Gandhi, première ministre indienne de 1980 à 1984 qui a fait bien pire que le BJP en termes d’atteintes à la démocratie. Elle a notamment stérilisé de force des millions d’indiens pauvres, réprimé les minorités et imposé l’état d’urgence pour se maintenir au pouvoir après avoir été accusée de fraude électorale. Plutôt qu’un ennemi de la démocratie, le BJP apparaît plutôt comme l’ennemi de la laïcité, il se caractérise ainsi par son nationalisme hindou, discriminant dans les faits la minorité musulmane qui représente 15% de la population indienne.
Des élections clés
L’enjeu de ces élections était, à l’image de son organisation dans la plus grande démocratie du monde (plus de 1 milliards de votants), gigantesque. En plus d’être un plébiscite sur une décennie de mandats de Modi, le but du BJP était d’obtenir près de 400 sièges pour modifier la Constitution indienne dans le but d’en finir avec la laïcité, de promouvoir l’hindi sur les autres langues et d’affaiblir le fédéralisme. Pour l’opposition, l’enjeu était de faire entendre sa voix : après avoir été tenus à l’écart depuis 2014, ils ont décidé de s’unir face au BJP sous l’égide de la coalition I.N.D.I.A (Indian National Developmental Inclusive Alliance).
Le résultat a surpris. Alors que les analystes s’attendaient à une victoire totale du BJP, le parti n’a obtenu que 240 sièges et perd donc sa majorité au Lok Sabha, signe que malgré son succès en termes de croissance économique et de de politique étrangère (ce que même ses opposants reconnaissent), de nombreux Indiens sont las des inégalités (notamment les plus jeunes), des discriminations (notamment des musulmans) et de l’ultra-nationalisme qui veut affaiblir le fédéralisme (surtout les classes moyennes et les habitants des États du Sud).
Quel futur pour l’Inde ?
Tout d’abord, il y a des éléments de continuité. Narendra Modi est confirmé dans son poste de Premier Ministre et devrait probablement ne pas changer là où il rencontre des succès, l’économie et la politique international. L’Occident, et surtout l’Europe, ne verra donc pas de bouleversement majeur dans sa relation avec l’Inde : une relation amicale, surtout dans le contexte de tensions avec la Chine, mais avec une Inde qui n’hésite pas à s’allier ponctuellement avec des pays anti-occidentaux, comme la Russie, en fonction de ses intérêts.
Cependant, la réponse du BJP aux critiques formulées dans ses élections semble incertaine : si le pouvoir se frustre, il pourrait être tenté de passer en force ses réformes, ce qui risquerait de l’affaiblir encore plus lors des prochaines élections. Sinon, il peut capitaliser sur le soutien que beaucoup d’Indiens lui portent en se modérant sur les enjeux identitaires et se concentrant sur le partage des richesses. Quelle que soit la voie choisie par le gouvernement de la plus grande démocratie du monde, nul doute qu’elle aura des conséquences majeures à l’international.
Sources :
Résultats des élections (EN) : https://www.bbc.com/news/world-asia-india-68678594
Économie indienne (EN) : https://www.bbc.com/news/world-asia-india-68823827
Inégalités en Inde : https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/en-inde-des-inegalites-au-plus-haut-2084144
Jeunesse en Inde : https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/elections-en-inde-la-jeunesse-confrontee-a-une-penurie-massive-demplois-2091249
Bilan de Modi : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-inde-la-decennie-modi
Indice de démocratie indien (EN) : https://ourworldindata.org/grapher/democracy-index-eiu
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