Union européenne et immigration : quand Bruxelles durcit le ton

, par Marc-Aurèle Barez

Union européenne et immigration : quand Bruxelles durcit le ton
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Giorgia Meloni, Président du Conseil italien, côté à côté à Lampedusa. © Palazzo Chigi, gouvernement italien

Dimanche 17 septembre à Lampedusa, centre névralgique de la crise de l’accueil des migrants, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a insisté sur le besoin de fermeté de l’Europe en matière d’immigration clandestine. Depuis la mi-septembre 2023, une dizaine de milliers de personnes sont arrivées sur l’île, engendrant le retour sur la scène médiatique d’un débat sensible, souvent symbole de la polarisation croissante des sociétés civile et politique en Europe : l’immigration.

Alors que la situation sécuritaire du Sahel se dégrade, que la conjoncture économique et politique des pays d’Afrique est structurellement dégradée, et que le réchauffement climatique aggrave l’insécurité alimentaire de certaines populations , l’Europe décide de durcir le ton face à ceux qui sont venus chercher une vie plus digne et plus sûre sur le Vieux Continent. En France par exemple, le ministre de l’Intérieur a assuré que «  la France n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa ». Il a en outre appelé à faire front commun avec l’Italie, dont les services d’accueil et d’intégration sont complètement dépassés.

Un plan d’urgence à la rescousse de l’Italie

« C’est l’avenir que l’Europe veut se donner qui se joue ici car l’avenir de l’Europe dépend de sa capacité à affronter les grands défis », a déclaré dimanche Giorgia Meloni, cheffe du gouvernement italien, à Lampedusa. À côté d’Ursula von der Leyen, elle a à demi-mot reproché à ses partenaires européens de manquer de solidarité à l’égard de son pays. La Commissaire a plaidé en sa faveur, estimant que « l’immigration irrégulière est un défi européen qui a besoin d’une réponse européenne », puis elle a exhorté les États membres à accueillir, sur une base volontaire, des migrants débarqués en Italie. La présidente de la Commission a en outre soumis un plan d’urgence pour affronter une situation devenue ingérable. Ce dernier aurait pour base un élargissement du contrôle aux frontières, via une augmentation des moyens de l’agence Frontex, un renforcement des « voies légales » mises à la disposition des migrants et des réfugiés, ainsi qu’une accélération de l’aide financière apportée à la Tunisie, voie de départ privilégiée pour l’Europe.

L’enjeu tunisien

Vendredi 22 septembre, la Commission européenne a annoncé une première batterie de paiements pour la Tunisie, en vertu du « partenariat stratégique » signé par Bruxelles et Tunis en juillet. Alors que les situations économique et financière du pays maghrébin sont critiques, l’UE lui a promis une aide budgétaire d’environ 127 millions d’euros pour l’aider à se redresser, et surtout, dans le but de lui permettre de lutter plus efficacement contre l’immigration. L’objectif premier est de donner les moyens à la Tunisie de renforcer son dispositif de contrôle aux frontières, lutter contre les passeurs, mais aussi accélérer le retour des demandeurs d’asile dont le dossier aurait été rejeté. Un accord controversé à l’heure où de nombreuses ONG dénoncent les violences perpétrées à l’encontre des migrants en Tunisie, leur arrestation, puis leur « déportation » vers des zones désertiques hostiles, aux frontières avec la Libye et l’Algérie. Pourtant, d’après Giorgia Meloni, l’accord incarne « un modèle pour l’établissement de nouvelles relations avec l’Afrique du Nord », en plus de marquer « une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée  ».

À défaut d’ « accueillir toute la misère du monde », la réglementer ?

En visite à Marseille le 22 septembre, le Pape François a dénoncé «  le fanatisme de l’indifférence », faisant référence aux milliers de personnes qui meurent chaque année dans les eaux méditerranéennes, et dont la tragique fortune est reléguée au rang de fait-divers. À Emmanuel Macron d’admettre que le Pape «  a raison », tout en rétorquant que la France «  fait sa part  » et ne saurait «  accueillir toute la misère du monde  ». L’Italie partage un avis similaire bien que plus radical. En effet, Giorgia Meloni a averti que ceux qui tenteraient d’arriver en Europe en s’en remettant à des « trafiquants  » pour «  violer la législation italienne » seraient «  arrêtés  » puis « rapatriés ». L’Allemagne, quant à elle, plaide pour une immigration surveillée et réglementée, mais ouverte. Le but est ici d’entraver une immigration illégale qui devient de plus en plus ingérable. Outre-Rhin, on milite aussi pour une répartition équitable des réfugiés au sein de l’Union européenne.

En 1999, l’Union européenne a tenté de construire une politique d’asile qui a vite trouvé ses limites, les États n’étant à l’époque que peu disposés à partager le fardeau de l’immigration. À l’heure actuelle, le seul mécanisme qui prévaut est celui de solidarité volontaire, et ses faiblesses sont évidentes : alors que l’Allemagne affiche une position d’ouverture relative, elle a pourtant annoncé qu’elle ne recevrait plus aucun migrant arrivé d’Italie. En 2023, le projet de réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) prévoit un mécanisme de répartition des migrants qui pourrait permettre de résoudre cette pierre d’achoppement. Néanmoins, certains États membres de l’Est (Hongrie, Pologne), ouvertement anti-immigration, s’opposent à ce qu’ils qualifient de «  diktat de Bruxelles  ». L’avenir d’une gestion apaisée des flux migratoires en Europe reste donc en suspens. Malgré l’ouverture conditionnée de l’Allemagne, l’UE se referme sur elle-même, et cette inclination essuie de vives critiques.

La faute à l’effet hotspot

En effet, de nombreux chercheurs soulignent le manque de pragmatisme des autorités politiques européennes : d’après Marie Bassi et Camille Schmoll, leur réaction est en décalage avec la réalité des faits : «  on retrouve à peu près les mêmes chiffres d’arrivées qu’en 2015 et 2016 et déjà, à l’époque, nous disions que ce n’était en rien comparable aux 850 000 personnes arrivées en Grèce en 2015  ». Notons d’ailleurs qu’en trois mois, l’Italie a accueilli plus de 120’000 réfugiés ukrainiens, et que leur accueil s’est déroulé sans encombre. A contrario, l’arrivée de 8500 migrants sur l’île de Lampedusa a conduit au retour d’un débat très sensible dans toute l’Europe, exacerbé et polarisé par l’instrumentalisation dont il fait l’objet, notamment par l’extrême droite. La faute à l’effet hotspot, décrit par les chercheuses comme le confinement des requérants d’asile dans un espace restreint, lequel «  renforce la visibilité du phénomène ». Elles ajoutent que «  ces îles-frontières concentrent à elles seules, parce qu’elles sont exiguës, toutes les caractéristiques d’une gestion inhumaine et inefficace des migrations ». Lampedusa ne serait donc pas le symbole de flux migratoires trop importants, mais plutôt la conséquence d’un manque d’espace et de moyens. Dans une tribune publiée le 17 septembre dans Libération, Marie Bassi et Camille Schmoll postulent que l’ « effet Lampedusa » justifie la mise en place de politiques migratoires répressives qui se révèlent d’ailleurs contradictoires avec les objectifs de certains pays européens. D’après elles, l’externalisation de la question migratoires dans les États très répressifs que sont la Libye et la Tunisie ne ferait qu’augmenter le nombre de migrants qui frappent à la porte de l’Europe.

L’approche des élections européennes prévues pour juin 2024 semble susceptible d’exacerber la situation. La question de l’immigration, déjà très discutée au sein des débats politiques des États membres, devrait continuer à monopoliser l’attention des médias dans les mois à venir. En raison de l’inquiétude quant à une montée de l’extrême droite au Parlement européen, une grande partie de la classe politique cherche désormais à adopter une position plus stricte à l’égard des migrants.

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