Vers une « démarkisation » de l’euro ?

La Banque centrale européenne et la croissance

, par Eugène Saint-Grégoire

Vers une « démarkisation » de l'euro ?
Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne depuis novembre 2011. - ECB European Central Bank

Le 22 janvier 2015, Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, annonçait le rachat de titres (privés et publics) à hauteur de 60 milliards d’euros par mois jusque septembre 2016. Cette pratique est dénommée en économie « QE » ou « Quantitative Easing ». C’est la pratique qui consiste tout simplement à injecter des liquidités dans le circuit économique. La Banque Centrale Européenne avait depuis l’été 2014 semblé aller en cette direction, mais dans des proportions moindres. Cette méthode est pourtant en rupture avec les conceptions classiques de la BCE, dans la mesure où elle avait pour habitude de pratiquer une certaine rigueur monétaire, avec notamment pour but un euro fort et une stabilité des prix. L’euro, fruit d’un compromis.

La création de l’euro avait été le fruit de difficiles transactions entre les grands pays européens. Cette création s’avérait d’autant plus difficile que les allemands étaient très attachés à leur monnaie : le Deutsche Mark. La tradition monétaire allemande est en effet celle de la maîtrise de l’émission de monnaie, après les épisodes d’inflation due à un laxisme monétaire dans les années 1920 et 1930. Cette politique avait également pour corollaire la dévaluation compétitive, c’est-à-dire la réduction de la valeur de la monnaie nationale par un afflux d’offre de monnaie faisant choir sa valeur sur le marché, et ce afin de favoriser les exportations. Cependant la généralisation de cette pratique par les différentes banques centrales nationales annulait les vertus de pareille politique, n’en laissant principalement que les inconvénients : ceux de l’inflation, à savoir la difficulté d’effectuer des opérations économiques dans un contexte d’incertitude quant à la valeur de la monnaie le lendemain.

Au moment du débat quant à la création d’une monnaie unique, l’Allemagne souhaitait des garanties quant à une telle monnaie, ne souhaitant assister à un eurofranc, avec une politique monétaire laxiste provoquant de l’inflation. C’est donc cette vision rigoriste qui a prédominé, actée par le couple Mitterrand-Kohl. La BCE siège d’ailleurs à Francfort, ce qui est riche de sens. L’euro se devait donc d’être un Deutsche Mark à l’échelle européenne.

La crise et la mue de la Banque Centrale Européenne furent des événements de taille qui ont cependant contraint la BCE à opérer certains revirements. Il s’agit de la crise de 2008 et de ses incidences. Après une crise bancaire, celle des subprimes, la crise des dettes publiques a atteint le sud de l’Union européenne. Face à une dégradation de la confiance des marchés financiers, des pays tels que la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ont vu leurs taux d’intérêts s’accroître de façon très importante, ce qui a accru l’importance des dépenses publiques incompressibles (avec les intérêts de la dette), et rendu nécessaire une baisse des dépenses publiques jugées secondaires, et un accroissement de la fiscalité. Après de longues négociations des chefs d’État de l’Union européenne, et un plan de sauvetage du FMI en Grèce, consistant principalement en un vaste programme de privatisations et de réduction des dépenses publiques, notamment dans le domaine social, la garantie de la Banque Centrale Européenne quant à la dette publique de la Grèce a suffi à réinstaurer un climat de confiance sur le marché, et les taux d’intérêts ont donc diminué, redonnant plus de marges de manœuvre aux Etats en question. La BCE s’est alors érigée outre le garant de la stabilité des prix, en garant de la survie même de l’euro, à des instants où les probabilités d’implosion de la zone euro étaient fortes.

Si la crise des dettes souveraines semblait alors passée, la croissance européenne elle restait, et reste aujourd’hui, faible (sinon nulle). Ce manque de croissance est attribué par certains à la politique de rigueur budgétaire et monétaire européenne, ce qui empêche la relance de l’activité. L’élection en France de François Hollande en 2012 a semblé remettre en cause ces principes, négociant pour l’objectif de croissance. Après la stagnation de la zone euro en terme de croissance de PIB, et ce malgré les faibles taux d’intérêts (le taux directeur de la BCE étant de 0,05%), la BCE a donc fait le pari audacieux et novateur de l’injection directe de liquidités dans le circuit économique. Ces mesures seront-elles suffisantes pour relancer la croissance ? Sommes-nous en passe d’assister à une policy mix (relance budgétaire et monétaire) européenne et concertée ? Quoiqu’il en soit, si vous voulez acheter vos jeans Levis américains à bon prix, peut-être faut-il songer à l’acheter au plus vite, avant que l’euro ne perde sa supériorité par rapport au dollar, et perde son pouvoir d’achat !

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