Arte : genèse d’un monument culturel franco-allemand

, par Allan Malheiro

Arte : genèse d'un monument culturel franco-allemand
Le siège d’Arte, à Strasbourg. ©Grey Geezer, Wikimedia

3 octobre 1990 : cette date est connue, c’est le jour officiel de la réunification entre la RFA et la RDA (après la chute du mur le 9 novembre 1989) et également la fête nationale allemande. Pourtant, le jour d’avant, le 2 octobre 1990, est également une date historique : c’est la signature du traité interétatique instituant une chaîne culturelle européenne, Arte.

Premières réflexions

Au début des années 1980, les paysages audiovisuels français et allemands sont en pleine recomposition : sur le plan technique, la télévision par satellite se développe alors que la télévision par ondes hertziennes était la norme (la télévision par satellite permet d’avoir une meilleure qualité et une diffusion plus efficace dans des zones reculées) et sur le plan politique, les pouvoirs publics favorisent la diversification de l’offre audiovisuelle. Ce climat permet ainsi à un projet de chaîne européenne de voir le jour : Valéry Giscard d’Estaing réfléchit alors à la création d’une chaîne commerciale privée à dimension européenne. Le projet reste cependant flou et n’avance pas.

L’année 1981 marque un tournant politique en France : pour la première fois depuis la naissance de la Vème République, la gauche arrive au pouvoir. François Mitterrand décide alors de reprendre le projet imaginé par VGE mais en proposant la création d’une chaîne publique : en février 1986, il crée alors la Sept (avec un nom très bien trouvé car c’est un acronyme pour “Société d’édition de programmes de télévision” et qu’elle était censée être sur le canal 7) qui n’est pas encore une chaîne de télévision (pour des raisons techniques liés au temps nécessaire pour trouver un canal disponible) mais une société de production de documentaire. A ce moment-là, l’ancêtre d’Arte est encore un projet français à dimension européenne, certes, mais qui n’implique pas le gouvernement allemand : c’est en octobre 1986 que, sous proposition de François Mitterrand, le chancelier Helmut Kohl se montre intéressé par le projet.

Des tractations complexes

La réflexion sur la création d’une chaîne franco-allemande ne signifie pas que le projet ira à son terme : en effet, des projets similaires comme Eurikon en 1992 ou Europa-TV en 1985 ont déjà échoué malgré le soutien des chaînes nationales de cinq pays européens (Pays-Bas, Allemagne de l’Ouest, Irlande, Italie et Portugal). Même s’il existe une volonté politique forte des deux côtés du Rhin, la création d’une chaîne commune se heurte aux différences de système politique des deux pays : la France est en effet un pays centralisé, la création d’une chaîne se décide donc assez facilement à Paris, cependant, l’Allemagne de l’Ouest est un Etat fédéral, ce sont donc les onze Länder ouest-allemands qui sont compétents dans le domaine culturel (ainsi, la France a dû négocier avec chacun des onze Länder allemands pour créer une chaîne commune). De plus, les deux pays avaient également un sens différent de la “culture” sur Arte : Paris défendait une culture classique (théâtre, littérature, cinéma,...) tandis que Bonn était plus favorable à une culture concernant tout ce qui touche à la société et au collectif. Ces différences sont cependant surmontées et, le 2 octobre 1990, un jour avant la réunification allemande, la chaîne commune franco-allemande est créée.

Un lancement réussi

Après la signature du traité interétatique instituant une Chaîne culturelle européenne (CEE), il reste cependant à trouver un nom, surtout que le nom CEE fait déjà référence à l’acronyme de la Communauté économique européenne et n’est pas réellement attirant. Arte est alors proposée, acronyme signifiant Association Relative à la Télévision Européenne et faisant penser à “art”, transmettant ainsi la vocation culturelle de la chaîne. Le 30 mai 1992, Arte est diffusée simultanément en France et en Allemagne et, en 1995, est créée Arte Belgique. Contrairement à certaines chaînes privées françaises ou allemandes, la vocation d’Arte n’a pas changé depuis sa création : c’est toujours une chaîne publique culturelle. Elle s’est cependant étendue en faisant des partenariats avec une dizaine de pays européens (Italie, Pologne, Autriche, Finlande, République tchèque,...) et a entamé une transition réussie en se lançant sur le web.

Même si certains parlent avec amusement d’Arte comme une chaîne que personne ne regarde, il est intéressant de noter que la chaîne franco-allemande a une certaine popularité. En France, elle est ainsi la huitième chaîne la plus regardée avec 2,9% d’audience (plus que C8, W9 et même CNEWS) mais est surtout la chaîne avec le plus d’abonnés sur YouTube (3,4 millions pour Arte France), loin devant la première chaîne française (BFM TV avec 1,8 millions). Même chose en Allemagne : Arte n’est que la 24ème chaîne allemande avec 1,2% d’audience mais la première sur YouTube avec 2 millions d’abonnés (contre 1,13 millions pour ZDF). Surtout, au delà des simples chiffres d’audience, Arte montre, à une époque où la plupart des médias français comme allemands sont possédés par des milliardaires et où certains médias deviennent de plus en plus clivants, qu’il est possible d’intéresser un public avec un contenu culturel agréable à regarder mais qui ne recherche pas le buzz. Si Arte reste une chaîne franco-allemande et non pas totalement européenne, il n’en reste pas moins qu’elle fait figure d’exception parmi le paysage médiatique des deux côtés du Rhin.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom