Convention du Conseil de l’Europe contre la manipulation des compétitions sportives : une contribution clé à la mobilisation internationale pour l’intégrité du sport

, par Stanislas Frossard

Convention du Conseil de l'Europe contre la manipulation des compétitions sportives : une contribution clé à la mobilisation internationale pour l'intégrité du sport

Ces dernières années, la lutte contre la manipulation des compétitions sportives (par ex. les matchs arrangés) a acquis une bonne place à l’ordre du jour politique des gouvernements, des organisations sportives et du secteur des paris. Parmi les nombreuses initiatives en cours, la négociation d’une éventuelle nouvelle convention dans le cadre du Conseil de l’Europe porte la promesse d’une coopération internationale renforcée et d’une coordination des politiques nationales.

Depuis le début des années 2000, plusieurs facteurs ont contribué à faire de la manipulation des compétitions sportives une activité attractive : l’évolution technologique, qui permet la transmission internationale à grande échelle d’informations de tous types sur les compétitions sportives nationales et internationales, la commercialisation du sport, le développement planétaire du secteur des paris, ainsi que l’absence de mesures répressives. Le nombre d’affaires de matchs arrangés signalées dans la presse a fortement augmenté, […] Cette augmentation considérable reflète l’ampleur du phénomène et explique le surcroît d’attention dont il bénéficie.

Les dirigeants sportifs, politiques et économiques sont aujourd’hui préoccupés par les répercussions que cette situation pourrait avoir sur le rôle sociétal du sport, et sur son économie. Ils considèrent par ailleurs que la manipulation des compétitions sportives présente également un risque pour le secteur des paris. Et si la manipulation des compétitions sportives a, dans un premier temps, semblé anecdotique et limitée à certains pays, on constate aujourd’hui que les affaires de matchs truqués touchent la quasi-totalité des pays, que le mode opératoire des manipulateurs est extrêmement raffiné et implique des méthodes criminelles, comme la corruption et la contrainte (chantage, menaces, intimidation, empoisonnement, etc.). Au-delà des affaires d’entente officieuse et déloyale entre les acteurs du sport, qui sont sanctionnées par les dispositions disciplinaires des instances sportives, il est devenu manifeste que la manipulation des compétitions sportives représente un champ d’activités délictuelles susceptibles de générer des produits financiers considérables, et qu’elle est investie par des organisations relevant du crime organisé.

Le caractère transnational de la manipulation des compétitions sportives est aisément illustré par le fait que les lieux de provenance des concurrents, du déroulement de la compétition, du siège de l’organisation sportive compétente, des opérations des sociétés offrant les paris et de la domiciliation fiscal de ces dernières relèvent de juridictions différentes. Une menace aussi globalisée appelle des réponses coordonnées sur le plan international et la plupart des organisations gouvernementales et non gouvernementales sont aujourd’hui impliquées dans la lutte contre les manipulations de compétitions […] Le mouvement sportif connaît aussi une forte mobilisation. Les principales organisations qui gèrent le sport international ont lancé des initiatives d’envergure visant à promouvoir l’harmonisation des règlements des fédérations sportives et à offrir des programmes de formation (SportAccord, ASOIF) ou à lutter contre les paris illégaux avec les gouvernements, les organisations internationales et les opérateurs de paris (CIO[…]

Le secteur des opérateurs de paris (opérateurs privés et loteries) est impliqué de manière constructive dans les processus du Conseil de l’Europe, du CIO ou de l’Union européenne. […]

On mentionnera enfin l’activité de sensibilisation et de recherche menée par des ONG, des Universités, et même des sociétés privées. […]

Dans ce contexte, l’initiative du Conseil de l’Europe de préparer une Convention internationale vise à faciliter la coordination nationale et la coopération internationale contre la menace de manipulation des compétitions sportives, qu’elles soient ou non liées à des activités criminelles et qu’elles soient ou non liées à des paris sportifs. Cette Convention serait le premier instrument international juridiquement contraignant pour les Etats qui choisiront de le ratifier.

Si le projet n’est pas encore approuvé par le Comité des Ministres, le Groupe de rédaction a achevé ses travaux le 22 janvier 2014 et il est possible de révéler les contours du projet. Le projet de Convention traite des mesures préventives, de l’éducation, de l’échange d’informations, de la coopération entre les opérateurs de paris, les organisations sportives et les pouvoirs publics, et de l’engagement de poursuites (pénales et disciplinaires).

En matière de droit pénal, le projet de Convention ne vise pas à établir une infraction pénale spécialisée de « manipulations des compétitions sportives », mais à s’assurer que les manipulations sont poursuivies selon le droit lorsqu’elles impliquent des éléments de contrainte (par ex. chantage, menaces), de corruption (publique ou privée) ou de fraude (notamment par des paris sur des compétitions truquées). Cette approche vise à combler les lacunes et à garantir que des délits déjà poursuivis pénalement le soient également lorsqu’ils interviennent dans le cadre du sport. Le projet contient certaines mesures relatives à la gestion des risques dans le secteur des paris sportifs, mais il faut rappeler que la convention ne porte pas sur l’ouverture des marchés nationaux des paris : les mesures considérées dans le domaine des paris sont applicables à la fois dans le contexte de marchés ouverts qui comportent plusieurs opérateurs licenciés, de marchés monopolistiques occupés par une loterie nationale ou même dans des situations de prohibition des paris sportifs. Elle ne vise d’ailleurs pas l’établissement de mesures fiscales ni ne traite de la question d’une juste rétribution des organisateurs par les opérateurs de paris.

Le projet du Conseil de l’Europe est géré en consultation avec les principaux acteurs du secteur des paris (loteries et opérateurs privés), ainsi qu’avec le mouvement sportif (CIO, UEFA). Il se déroule en coordination avec les initiatives prises par d’autres parties concernées, en veillant soigneusement à éviter tout chevauchement de compétences ou contradiction. D’autres organisations internationales, comme l’Union européenne, l’UNODC, INTERPOL et l’UNESCO, participent au processus de négociation de la convention. […] L’Europe entend jouer un rôle pionnier, comme elle l’a fait dans d’autres domaines, tels que la lutte contre le dopage, la corruption ou la cybercriminalité. Plusieurs facteurs ont facilité l’initiative du Conseil de l’Europe, notamment l’engagement politique des Ministres responsables du sport du Conseil de l’Europe et la possibilité de s’appuyer sur d’autres secteurs de coopération pertinents (droit pénal, protection des données personnelles, lutte contre le blanchiment, le dopage, la violence des spectateurs etc.). Il convient aussi de mentionner le fait que, au Conseil de l’Europe, la coopération intergouvernementale en matière de sport repose largement sur un groupe d’Etats qui se sont dotés d’une structure, l’Accord partiel élargi sur le sport (APES), leur permettant de traiter des questions d’intérêt commun avec souplesse et réactivité.

Toutefois, si ce projet de Convention a été abordé dans le cadre du Conseil de l’Europe, c’est avec l’intention d’en faire un instrument ouvert à touts les Etats. […] Dans cette perspective, la négociation a été ouverte aux Etats intéressés et l’Australie, le Belarus, le Canada, Israël, le Maroc et la Nouvelle Zélande ont saisi cette opportunité. Cette ouverture devrait se poursuivre après l’adoption attendue de la Convention, qui sera ouverte à la signature d’Etats non Européens selon une procédure simplifiée.

Si la négociation touche à son terme, quelques étapes décisives jalonnent le cheminement de l’actuel projet jusqu’à une possible entrée en vigueur : une consultation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’adoption du projet par le Comité des Ministres [des Affaires Etrangères] du Conseil de l’Europe et la signature puis la ratification par les Etats. Les premières signatures pourraient intervenir à l’occasion de la 13ème Conférence des Ministres Responsables du Sport, qui se tiendra à Macolin le 18 septembre 2014.

Sans préjuger de l’issue du processus et sans spéculer sur la possible date d’entrée en vigueur de la Convention, il convient de relever que l’avancement de cette négociation représente déjà un progrès notable : une cinquantaine d’Etats se sont maintenant engagés très concrètement pour préparer le projet ; ils ont coordonné leur position sur le plan interne entre les différents Ministères concernés ; ils se sont positionnés sur un ensemble de mesures précises ; ils ont financé la participation de leurs délégations aux réunions ; ils ont démontré la volonté d’associer les Etats non européens intéressés au processus.

En se dotant d’un mandat de négociation, l’Union européenne s’est positionnée et a pris des responsabilités sur cette question. En participant activement aux travaux du groupe de rédaction, Interpol, UNODC, l’UNESCO et l’Union européenne ont confirmé leur détermination à partager leur expertise, leurs réseaux et les atouts de leur institution en partenariat avec d’autres acteurs et institutions. Enfin, le mouvement sportif et les opérateurs de paris (publics et privés), en accompagnant le processus, ont démontré leur détermination à coopérer avec les autres acteurs concernés. La perspective de l’entrée en vigueur d’un instrument légalement contraignant reste à confirmer, mais le stade des déclarations d’intentions a été dépassé et cet engagement collectif résolu est de bon augure pour la défense de l’intégrité du sport et la lutte contre les activités criminelles qui se sont développées dans le sport.

Cet article ne représente pas la position du Conseil de l’Europe, mais exprime uniquement les opinions personnelles de M. Frossard. Il est tiré de la revue n°25 « Intégrité et valeurs du sport » du think tank sport et citoyenneté.

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