Les calendes passent et l’Union et l’euro demeurent. Le télos tant annoncé par les (pseudo ?) Cassandre eurosceptiques ne vient pas.
Mais ne nous laissons pas non plus tenter par les bras de la joyeuse insouciante et confiante Grâce Euphrosyne, qui, telle Christine Lagarde dès 2009, nous claironnerait que le plus dur est derrière nous. Comme l’a montré, lors d’un cours à LSE le mois dernier, Christophe Pissarides, économiste anglo-chypriote, ardent défenseur à l’origine de l’euro et Prix Nobel 2010, soit l’Union doit axer sa politique monétaire et économique sur la croissance et l’emploi, soit nos pays devront abandonner les uns après les autres notre monnaie au risque de sacrifier une génération entière [1] Ça c’était pour l’économique, et le point politique ? Les élections européennes et le risque d’une poussée de l’extrême-droite, des nationalistes et des eurosceptiques sont devant nous.
Il existe cependant en ce bas-monde avant l’Hadès, une bonne nouvelle, ou tout du moins, un signe de réconfort. La République hellénique prend la Présidence du Conseil de l’Union. Ce mandat tournant a la particularité d’être, selon qu’il se porte sur nos plus petits pays ou nos dernières grandes puissances, tour-à-tour plutôt dédaigné (« c’est symbolique, ça ne sert rien » [2] ) puis porté au pinacle (« la France a la Présidence, nous sommes le centre du monde » [3] ). Sans me lancer dans un laïus épidictique sur ce qu’est en vérité cette charge, je pourrai juste rappeler qu’elle est, telle celle d’épistate de l’Athènes antique, aussi lourde qu’honorifique. Lourde, non seulement parce qu’elle coûte chère – et le gouvernement hellénique a décidé de réduire son coût à 50 millions d’euros [4] – mais parce qu’elle appelle à gérer les nombreux dossiers sur la table des Conseils des ministres. Honorifique, parce que rôle de secrétaire général, permet à tous les pays, de connaître, quoi qu’il arrive leur instant de succès.
Quand les cancres gouvernent ?
C’est justement ce point qu’a souvent retenu la presse internationale. Comment un pays qui, ces trois dernières années, fut tellement montré du doigt et par l’opinion et par la gouvernance européennes, peut aujourd’hui jouir de l’égide d’une telle représentation ? La manière dont cette interrogation fut souvent formulée reste maladroite si l’on connaît bien les instituions de l’Union. D’une part parce que le calendrier de cette charge tournante a été fixé à chaque élargissement, donc depuis 2007 dans notre cas [5] . D’autre part parce que ces présidences fonctionnent depuis cette même année par triplet de trois présidences tournantes qui doivent, au moins un mois avant l’entrée en fonction de la première, présenter un programme commun sur les trois semestres (18 mois [6] ) .
Ainsi, ce triplet pourrait fournir une bien meilleure analyse. Or, dans l’actuel, outre un des tout nouveaux pays membres, la Lituanie, on y retrouve deux des dénommés PIGS (les pays surendettés), la Grèce donc et l’Irlande. Mais plus intéressant encore, à regarder leur programme commun adopté le 7 décembre 2012, chacun pourra s’apercevoir que l’un des principaux points d’agenda est le renforcement des politiques économiques et monétaire pour la stabilité, l’emploi et la croissance [7] .
Autrement dit les institutions de l’Union européenne font confiance aux pays qui demandèrent des plans d’aide et virent une forte (et plusieurs fois légitimée) contestation des politiques proposées par la Commission, le Conseil ou la Banque centrale. Voilà qui contredit sérieusement les analyses eurosceptiques qui voyaient la Grèce comme le verrou qui ferait sauter l’Union comme la Pologne avait pu représenter l’effondrement du bloc soviétique. Au contraire, il est ainsi fait la preuve que les institutions de l’Union, à défaut d’être parfaites et réellement démocratiques, sont stables et justes.
Une légitimité de la Présidence du Conseil ?
Souvent oubliées des analyses de la presse, les deux des derniers avantages de ces présidences tournantes qui pouvaient sembler plus fonctionnelles quand l’Europe communautaire réunissait 6 pays, sont qu’elles donnent un visage humain au Conseil de l’Union et qu’elles augmentent la cohésion du continent de manière décentralisée. En tant que fédéralistes, nous pourrions rester dubitatifs sur une humanisation stéréotypée de la méthode intergouvernementale par des Présidences qui profitent des sites web de leur mandat pour faire la promotion de leur tourisme, leur industrie, de leur terroir, de leurs recettes de cuisine (coucou l’Irlande) ou des avantages de leurs systèmes d’investissement (coucou Chypre, coucou la Lituanie).
Par contre chacun devrait se réjouir que le système de présidence tournante du Conseil donne à chaque pays l’occasion de gérer les affaires de l’Union. Cependant, pour l’avoir remarqué à Chypre lors de la Présidence du 2e semestre de 2012, seule une élite administrative, très minoritaire et déjà bien intégrée dans la globalisation contemporaine, participe à ce mandat. Si elle prouve ainsi sa loyauté et légitime la participation du pays à l’Union, elle oublie parfaitement l’ensemble ses individus qui le composent. N’oublions pas qu’à peine trois mois après la fin de la Présidence chypriote, des manifestants brûlaient à Nicosie les drapeaux de l’Union à cause de la précipitation ratée de l’Eurogroupe sur le renflouement de deux banques de l’île.
L’Europe oubliera-t-elle lors de la Présidence hellénique les individus qui vivent en Grèce ? Ces manifestants qui sur la place de Syntagma, en face de la Boulée, réclamaient une Europe plus juste et plus solidaire ? Ces étudiants qui savent qu’ils devront, bon gré, mal gré, émigrer pour vivre décemment ? Ces immigrés d’origine étrangère parqués dans des camps de la honte ? Depuis 2009, ce pays cristallise, sur plusieurs sujets, l’opinion européenne. Ce n’est pas par hasard que les Jeunes Européens Fédéralistes, Europa Nova, ou même ATTAC se retrouvent à Athènes.
Syntagma est devenu le premier lieu des revendications sur l’Europe. Peut-être une Présidence du Conseil donnera pour la première fois un peu plus de résonance au centre de contestation des politiques menées ces dernières années et qui se sont révélées, pour leur volet social, gravement inefficaces. Peut-être que cette contestation accouchera les prochaines années d’une Europe plus démocratique et mieux organisée.
Car le mot ΣΥΝΤΑΓΜΑ (Syntagma) ne signifie-t-il pas arrangement en Grec classique et Constitution en Grec moderne ? Que ce soit les manifestants sur la place ou, autours de celle-ci, les fonctionnaires de la Présidence, tous dans cette cacophonie conduisent finalement à nous interroger : Quelle organisation pour l’Europe ?
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