La prostitution en Europe : les gardiens du plaisir

, par Jeanne Antoine, Le Courrier d’Europe

La prostitution en Europe : les gardiens du plaisir

En mars dernier, travailleuses du sexe et habitants d’Amsterdam ont manifesté contre le déplacement du Quartier Rouge vers les banlieues. Ce projet proposé par le maire d’Amsterdam, Femke Halsema, a pour but de réduire le taux de criminalité et le tourisme de masse à l’intérieur de la ville. L’idée est de créer la plus grosse maison close d’Europe. Cet exemple européen est un des projets visant à réglementer la prostitution. En Europe, il existe presque autant de lois différentes pour encadrer, réglementer ou condamner cette activité qu’il existe de pays. Le « plus vieux métier du monde » est régulièrement au centre de débats politiques houleux entre les pays de l’Union européenne.

La prostitution, c’est quoi ?

D’après le gouvernement français, la prostitution est « le fait de proposer des relations de nature sexuelle à un tiers, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un avantage en nature. »

Comprendre la prostitution en quelques chiffres

D’après une étude réalisée en 2015 par le Mouvement du Nid, on compte en moyenne 37 000 personnes prostituées en France, dont 62% sur Internet. En France, la prostitution est une activité essentiellement occupée par des femmes, à 85%. On compte également 10% d’hommes et 5% de transgenres. A échelle européenne, ces chiffres varient peu, on compte 87% de femmes, 8% d’hommes et 5% de transgenres.

En 2008, le Mouvement du Nid a réalisé une enquête sur la sexualité en France et établit que la demande est principalement masculine, 3.1% des hommes affirment avoir payé pour du sexe.

D’après une étude réalisée en 2008 par la TAMPEP, dans les pays d’Europe de l’Ouest (France, Espagne, Portugal, Allemagne, Belgique, Pays-Bas…), les prostituées sont majoritairement d’origine étrangère, cela peut varier de 65 à 70% selon les pays. Elles viennent généralement de l’Est, de Roumanie, de Russie, de Bulgarie et d’Ukraine.

Toujours en France, le gouvernement a établi en 2015 que 51% des personnes prostituées ont subi des violences physiques dans le cadre de la prostitution. Il s’agissait à 64% d’insultes et/ou d’actes d’humiliation ou de stigmatisation. 38% des personnes prostituées ont subi un viol au cours de leur vie contre 6,8% pour les femmes non prostituées.

Les législations sur la prostitution

En 2014, le Parlement européen a jugé que la prostitution et son exploitation posaient un obstacle fondamental aux principes d’égalité entre les femmes et les hommes et de respect de la dignité humaine. La prostitution est donc pour le Parlement « incompatible avec la Charte européenne des droits fondamentaux ». Cette activité est considérée comme de la traite humaine, voire de l’esclavage moderne. La prostituée serait victime d’un réseau, organisé par un proxénète, qui la forcerait à vendre son corps. Les Etats membres étaient donc invités à des politiques abolitionnistes (interdiction d’achat d’acte sexuel, dépénalisation des personnes prostituées et mise en place de politiques d’alternatives à la prostitution).

Les Etats membres ont adopté des politiques variées, selon les différents courants de pensées pour répondre à la question de la prostitution. Parmi ces courants on retrouve :

  • L’abolitionnisme : vise à abolir toutes règlementations concernant la prostitution, sans abolir la prostitution en elle-même. Les prostituées sont vues comme des victimes de traite humaine, et toutes réglementations les concernant ne feraient qu’aggraver leur situation. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne font partie des pays qui ont adopté ce courant de pensée.
  • Le prohibitionnisme : vise à interdire toute forme de prostitution. Les proxénètes, les clients et les prostituées sont jugés responsables et sont donc susceptibles d’être puni par la justice. La Roumanie et d’autres pays de l’Est ont adopté ce courant de pensée.
  • Le règlementarisme : vise à règlementer la pratique de la prostitution. Selon les Etats, les interdictions ne sont pas les mêmes. En France par exemple, le racolage est interdit, faire appel à un travailleur du sexe est illégal, mais se prostituer soi-même est autorisé.

Si c’est condamné par le Parlement européen, pourquoi est-ce que ça existe toujours ?

On a tendance à qualifier la prostitution comme « le plus vieux métier du monde ». On a le souvenir des maisons closes de Pompéi dans lesquelles sont peintes des scènes érotiques. Payer pour du sexe est commun. On a tendance à croire que la prostitution est une activité facile : après tout, il suffit de disposer d’un corps.

Au delà de considérations morales et psychologiques, la prostitution existe avant tout parce qu’il y a une demande. Le Conseil a retenu trois autres facteurs pour expliquer le phénomène de prostitution. Les conditions de pauvreté et de désespoir peuvent pousser des femmes à choisir la prostitution. Les bénéfices et intérêts économiques de certaines personnes à entretenir des réseaux de prostitution en est un autre. Enfin, il arrive que des femmes victimes de violences sexuelles choisissent la prostitution de façon à reprendre le contrôle de leur corps.

La prostitution en débat

Si le Parlement européen a tranché sur la question de la prostitution, le sujet reste ouvert à débat. Pour certains, il s’agit d’une lutte contre la consommation du corps des femmes, une lutte pour la dignité humaine et la protection financière, médicale et sociale de victimes de réseaux malveillants. Pour d’autres, c’est une lutte contre la stigmatisation d’une profession légitime, et pour le droit de disposer de son corps. En d’autres termes, c’est une lutte pour avoir le choix. Néanmoins, la notion de consentement suscite des débats intenses entre les abolitionnistes, les féministes et les partisans du « travail du sexe ». La question se pose d’autant plus pour les prostituées étrangères, qui n’ont pas forcément migré par choix, ce qui interroge également leur engagement dans la prostitution.

Parler de prostitution

Parler de sujets aussi intimes que la sexualité et la prostitution peut se révéler difficile et laborieux. Il existe peu de documentation académique sur le sujet, considéré comme tabou. Dans son livre King Kong Théorie, Virginie Despentes raconte le choix qu’elle a fait de se prostituer suite à un viol qu’elle a subi. Rachel Moran dans L’Enfer des passes. Mon expérience de la prostitution, démystifie l’image de la prostitution en racontant son expérience d’adolescente et de jeune adulte.

Dans un monde ultra sexualisé, où le plaisir et le désir sont paradoxalement mis à mal, il semblerait que les travailleurs du sexe soient les gardiens de notre santé sexuelle.

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