Législatives en Serbie : la violence en jeu

, par Alexis Vannier

Législatives en Serbie : la violence en jeu
Assemblée nationale de Serbie © Boris Dimitrov

En ce 17 décembre, les Serbes clôturaient l’année électorale en Europe, en plus des Andorrans qui renouvelaient leurs conseils municipaux. Les quelque 5 millions d’électeurs serbes devaient donc voter pour recomposer la Narodna sukpština, l’assemblée nationale serbe, qui contient 250 sièges, ainsi que certains conseils municipaux comme Belgrade. Retour sur une élection qui ne bouleverse pas la donne.

Et à la fin, c’est encore le Président qui gagne

Cette élection a été anticipée de plus de 2 ans, dans un contexte intérieur et extérieur particulièrement agité pour la Serbie. Alors que les élections législatives serbes devaient se tenir initialement en 2026, le Président Aleksandar Vučić a préféré dissoudre le parlement et appelé à de nouvelles élections, anticipées. Sans grande surprise, la coalition attrape-tout “Nous pouvons tout faire” - formée autour du puissant Parti progressiste serbe (SNS), du gouvernement sortant et soutenant l’action du président, au pouvoir depuis plus de 10 ans - arrive encore en tête de ce scrutin avec près de la moitié des suffrages (48,16%) en sa faveur, lui permettant d’asseoir au moins 127 représentants à l’Assemblée. La coalition gagne ainsi 5% des suffrages par rapport à 2022 (au détriment des partenaires socialistes), preuve de la stabilité de la confiance des Serbes envers leur Président. Innovation de cette année, poussée par les événements détaillés plus loin, l’opposition de centre-gauche, progressiste, écologiste et démocrate s’est coalisée pour former la “Serbie contre la violence”. En recueillant 24% des voix, elle réalise enfin un score honorable, dans ce pays “ultra-dominé” par le SNS. Difficile cependant pour elle de se garantir un quart des strapontins parlementaires. La coalition socialiste, arrivée troisième du scrutin s’effondre en recueillant 7% des voix, utilise la même définition de socialisme que ses homologues slovaque ou bulgare, à savoir un socialisme conservateur, eurosceptique et hostile à l’État de droit.

Plusieurs formations ultranationalistes, monarchistes, libérales ou ethniques complètent ce tableau des scores, la plupart en baisse. Des accusations de malversations électorales semblent néanmoins poindre à l’encontre des autorités. Affaire à suivre.

Concernant les élections municipales, l’opposition manque de peu de ravir la mairie de Belgrade à la coalition au pouvoir, avec respectivement 34,5% des voix et 38,8%. A noter que des élections se tenaient également dans la province (non-sécessionniste celle-ci) de Voïvodine, au nord du pays. Le SNS du président Vučić y a conservé sa majorité absolue.

L’action du Président semble donc amenée à se poursuivre dans un contexte marqué cependant par des risques intérieurs et extérieurs nombreux.

La modèle serbe à l’épreuve des balles

Voilà plus de 15 ans que le Kosovo a déclaré son indépendance unilatéralement. Si les rapports n’ont jamais été simples entre Belgrade et Priština, ils sont aujourd’hui extrêmement tendus. En effet, après l’obligation (finalement suspendue) pour les Serbes du Nord du Kosovo d’adopter des plaques minéralogiques kosovares, puis l’intronisation de maires albanophones dans ces municipalités du Nord, très mal élus (autour de 5% de participation), les tensions ont été exacerbées par une attaque menée par des Serbes en territoire kosovar qui a entraîné plusieurs morts et une mobilisation militaire serbe à la frontière. Des soldats de la KFOR, la force de l’OTAN, ont d’ailleurs été blessés durant les répliques de ce drame. Bruxelles tente toujours d’apaiser les relations ou au moins d’amener les dirigeants à maintenir un dialogue entre les deux pays, candidats à l’adhésion à l’Union européenne. Si le Kosovo a écopé pour la première fois de sanctions européennes, le processus d’adhésion serbe semble bien morose, compte tenu également des liens forts qui unissent Moscou et Belgrade, cette dernière refusant toujours d’adopter les sanctions européennes consécutives à la guerre russe en Ukraine.

C’est une actualité dramatique qui a allumé les feux à des poudres longtemps endormies. Le 3 mai dernier, un élève de 13 ans abat neuf de ses camarades et un agent de sécurité au sud de la capitale. Le lendemain, c’est un adulte qui tue huit personnes dont un policier. Ces tueries sanglantes ont bouleversé le pays, entraînant des mobilisations massives parmi la population. Devant les réponses des autorités (le ministre de l’éducation qui rejette la faute sur les “valeurs occidentales” et les jeux vidéos, et la Première ministre refusant d’admettre la moindre défaillance, les manifestations ont pris un ton protestataire contre la circulation des armes à feu dans le pays (troisième taux de possession d’armes à feu le plus élevé au monde) mais également contre certains médias accusés de passions morbides et de relais de violence.

Dans un pays qui avait connu sa propre mobilisation des Gilets jaunes et alors que la coalition d’opposition s’est formée sur la base de ces revendications, le pouvoir semblait craindre un renversement de situation. Ainsi, le gouvernement s’est dépêché d’éteindre les braises d’une convergence des luttes avec des agriculteurs en grève, en accédant à leurs revendications.

Pour rappel, en 2022, le scrutin avait été également anticipé en raison du boycott de l’opposition pour les élections de 2020. Après avoir raflé, fort logiquement, près de deux tiers des suffrages en 2020, la coalition gouvernementale a tout de même conservé 43% des voix en 2022, frôlant de 5 sièges la majorité absolue, vide rapidement comblé par ses partenaires socialistes. L’opposition “fourre-tout”, anti-Vučić, s’était contenté de 13,7%, les différents partis d’extrême-droite cumulant presque 11% des bulletins.

À l’issue du scrutin, le parti présidentiel au pouvoir semble même pouvoir se passer de partenaires de coalition pour maintenir un régime exécré par une partie de sa population et formant une épine blanc-bleu-rouge dans le flanc balkanique de l’Europe.

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