Pour une réglementation européenne du secteur aérien (1/3)

Pourquoi une réglementation européenne ?

, par Dorian Tourte

Pour une réglementation européenne du secteur aérien (1/3)

Chaque citoyen européen émettait, en 2020, 7,2 tonnes de CO2, soit près de 4 fois plus que le montant permettant de stopper la spirale du réchauffement climatique (2 tonnes). Pour atteindre cet objectif de 2 tonnes, le groupe d’experts préconise une « réduction drastique des émissions ». Le message est clair : pour espérer contrer le réchauffement climatique, il ne faut pas y aller de main morte.

Mais l’Union reste frileuse quant à une réelle réglementation des secteurs les plus polluants (notamment le secteur aérien), en misant exclusivement sur l’investissement dans la décarbonation de l’activité économique et en encourageant la croissance. Pourtant, c’est bien l’Union (et elle seule) qui possède la capacité de régulation dont nous avons aujourd’hui besoin.

L’échelle nationale et la logique de marché sont dépassées

L’instabilité environnementale et économique est réelle

La crise financière de 2008 et la crise sanitaire de 2019 sont amenées à se reproduire. Le système financier n’est pas totalement stable (voir les travaux de Minsky) et la multiplication des échanges augmente les risques de dissémination de virus.

L’Union européenne n’en reste pas moins une construction économique qui croit en la solution financière pour la transition. La Banque européenne d’investissement (BEI) est en ce sens le pilier exécutoire de la transition écologique à l’échelle européenne qui souhaite investir dans la finance verte. Pourtant la BEI – intrinsèquement liée aux logiques des marchés financiers – est tout de même source de scepticisme quant à sa capacité à ne financer que des projets cohérents avec la transition énergétique.

On peut citer l’exemple assez représentatif du marché des obligations « vertes » 5. Il s’agissait auparavant d’un marché d’Etats et d’institutions publiques, mais il fut investi par les grandes entreprises et les banques qui y jouent désormais un rôle prépondérant. Ces acteurs privés suivent bien évidemment une logique de rentabilité inhérente au marché. Quand bien même ce type de solution peut drainer beaucoup de capitaux, il ne faut pas oublier la réalité de l’instabilité financière expliquée par Minsky. Si la transition dépend à ce point des marchés, à ce jour trop instables et peu régulés, rien ne prouve qu’elle soit viable.

De plus, le caractère écologique de certains projets est discutable et, plus largement, ne présente pas de véritables fondements juridiques. La logique de marché tous azimuts prend le pas sur un cadre institutionnel inexistant, et aucune vérification ou contrainte d’utilisation sur les obligations vertes n’existe. Autrement dit, rien ne prouve que l’obligation aide au financement d’une activité proprement verte, et cela implique probablement déjà le développement du greenwashing.

Les dérèglements économiques sont donc bien réels, et poussent l’Union à repenser de toute urgence son socle de construction. L’économie doit laisser place à des mesures politiques.

L’innovation technologique, même à l’échelle européenne, ne suffira pas

Il est indéniable que d’importantes avancées dans la décarbonation des transports ont été faites depuis 1990. Mais pour beaucoup de spécialistes, certaines technologies semblent ne pas pouvoir survivre sans les énergies fossiles ; c’est le cas pour le secteur aérien.

« L’avion est né et mourra avec le pétrole », répète Jean-Marc Jancovici (maître de conférences aux Mines de Paris et membre du Haut Conseil pour le Climat, il est notamment connu pour être le créateur et actuel président du Shift Project).

Mais d’autres sources de carburant sont-elles disponibles ?

L’hydrogène et les carburants alternatifs sont les deux axes principaux de décarbonation pour les transports soutenus par l’UE. Mais les prototypes à hydrogène n’en sont qu’à leurs débuts ; leur homologation ne pourra se faire a minima qu’à partir de 2030.

Airbus est le seul constructeur à se pencher sérieusement sur la solution de l’hydrogène, tandis que Boeing ne croit pas du tout en sa viabilité. Malheureusement pour Airbus, l’hydrogène pose de sérieux problèmes de stockage. L’énergie consacrée à ce dernier sera énorme – l’hydrogène liquide doit être conservé à -252,87 °C – mais surtout, l’instabilité de cette substance fait que le stockage dans les aéroports ET dans les avions en vol constitue un défi d’une ampleur jamais égalée. Résultat : le premier avion à hydrogène ne volera au plus tôt qu’en 2035 (ce qui serait déjà une prouesse), et sera destiné aux vols de courte durée.

Les carburants alternatifs, pourtant fortement encouragés par l’UE tant dans les mots que dans les financements, présentent une limite structurelle quant à leur production.

Dans le cas des agrocarburants, selon le rapport Crise(s), climat : préparer l’avenir de l’aviation du Shift Project, leur consommation représenterait en 2025 seulement « 3,5% de la consommation mondiale de pétrole, selon l’OCDE et la FAO. » Et surtout, « même à ce niveau de production, les agro-carburants posent déjà des problèmes de concurrence avec les usages alimentaires » : entre voler et manger, le choix sera vite fait.

Une des pistes les plus intéressantes est celle des carburants durables, mais leur usage reste très limité en raison de leur coût élevé. Notons que toutes ces considérations valent pour l’ensemble des transports terrestres.

Ainsi, à court - moyen terme, l’innovation ne permettra pas les « réductions drastiques » des émissions liées au transport préconisées par le GIEC. Elle doit se poursuivre et l’UE doit continuer, voire intensifier son soutien dans celle-ci ; mais le levier réglementaire semble l’outil le plus adapté pour réduire les émissions du secteur, en limitant les échanges et en diminuant la distance entre les pans des chaînes de valeur. On pourrait se dire que ce travail est celui de l’Etat…

L’incertitude permanente quant aux capacités de l’Etat à agir pour la transition

Pourtant, l’inertie politique nationale (en matière de régulation) dont le secteur aérien fait l’objet est bien réelle. Elle peut être expliquée par des enjeux économiques nationaux (Airbus est un fleuron français) mais aussi par le fait que les activités économiques liées au transport aérien soient fortement liées au niveau européen, tant par des institutions que par des principes inhérents à l’UE.

Par exemple, il est impossible pour le gouvernement français de limiter l’activité du transport aérien car cela contreviendrait à la libre circulation, chère à l’Union européenne. Les enjeux sont en ce sens entremêlés et les Etats n’ont pas de levier contraignant pour réguler ces activités ; leur marge de manœuvre est limitée.

Face à l’incertitude, la solution européenne s’impose

L’UE, à l’inverse, possède une marge de manœuvre bien plus large. Sur le plan législatif, le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont la compétence pour édicter des règlements (contraignants envers tous les Etats Membres) et des décisions (contraignantes envers les EM concernés). Ces outils servent déjà pour l’inscription dans la loi européenne des objectifs climatiques de l’UE. L’exemple le plus récent est la « loi européenne pour le climat » (Règlement (UE) 2021/1119).

Ainsi l’étendue de la compétence européenne justifie une réglementation à son échelle, à sa manière.

C’est donc bien l’UE qui se doit de concrétiser cette nécessaire régulation. Elle en a la capacité car elle peut d’une part s’appuyer sur les instruments législatifs suscités, d’autre part sur des instances de régulation déjà existantes : on peut citer Eurocontrol dont la fonction est de réguler l’aviation civile. Cet organe pourrait servir à diminuer le trafic aérien au sein de la zone Euro, conformément aux recommandations du think tank The Shift Project. Mais cette régulation doit évidemment se faire en coopération étroite avec les secteurs concernés, sans forcément passer par les lobbys…

Conclusion

La régulation du secteur aérien est à court - moyen terme nécessaire pour diminuer les échanges et les émissions de CO2 qui les accompagnent, car l’innovation n’a à ce jour pas encore la capacité d’effectuer les réductions drastiques d’émissions préconisées par le GIEC.

L’UE est l’organe préférentiel pour cette incontournable régulation du secteur des transports puisqu’elle a la capacité législative et pratique d’imposer une régulation. Elle doit abandonner une partie des priorités liées au marché et adopter un point de vue plus politique, et par là plus ambitieux dans la lutte contre le réchauffement climatique.

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