Terres rares et métaux stratégiques : bientôt des nouvelles mines en Europe ?

, par Allan Malheiro

Terres rares et métaux stratégiques : bientôt des nouvelles mines en Europe ?
Mine de Mountain Pass, Californie (Etats-Unis) © Tmy350, Wikicmedia Commons

Téléphones portables, éoliennes, voitures électriques, rafales, ampoules LED, avions... La liste des objets utilisant des terres rares est presque sans fin. Ces terres rares portent mal leur nom : ce sont des métaux qui ne sont pas rares (certains sont aussi abondants dans la croûte terrestre que le cuivre ou le plomb) mais difficiles à extraire car ils sont mélangés avec d’autres éléments.

Des matières premières hautement stratégiques

Ainsi, les terres rares ne se trouvent pas de manière brute mais doivent être séparées des autres éléments : c’est ce qu’on appelle le raffinage, un procédé nécessaire mais très polluant. Par exemple, pour avoir 1 kilo de gallium, il faut par exemple extraire 50t de roches et, cas extrême, pour 1 kilo de lutécium, il faut 1200t de roches !

Contrairement au pétrole ou au gaz, ce marché a une taille ridicule au niveau mondial (valant près de 5 milliards de dollars... la production de terres rares ne représente en quantité que 0,01% de celle de l’acier !) mais son importance stratégique est capitale car il est au cœur de produits clés dans des domaines hautement stratégiques comme la défense ou à forte croissance comme les technologies ou la transition énergétique. Leur consommation devrait ainsi être multipliée par au moins 7 d’ici 2040 selon l’ADEME.

Stricto sensus, les terres rares sont constituées de 17 éléments aux noms peu évocateurs (néodyme, cérium, thulium,...) ayant des propriétés physiques proches. Cependant, lorsqu’on les évoque d’un point de vue économique, on pense surtout aux métaux clés pour assurer notre indépendance industrielle : ceux-ci sont rassemblées par la Commission européenne dans une liste de matières premières critiques. Ce sont donc les 30 métaux de cette liste qui seront évoqués dans cet article dont certains peuvent être familiers : la quasi-intégralité des terres rares mais aussi le lithium, le cobalt ou le titane.

Un marché à hautes tensions géopolitiques

Le 7 septembre 2010, le Japon arrête le capitaine d’un chalutier chinois dans sa zone maritime que Pékin revendique depuis les années 1970... la Chine réagit alors immédiatement en arrêtant l’exportation de terres rares vers son voisin. Si cet embargo n’a duré que quelques semaines (le Japon ayant décidé de libérer le capitaine du chalutier chinois), il a grandement inquiété l’industrie japonaise dépendante à près de 90% de la Chine pour son approvisionnement en terres rares et a fait exploser les cours mondiaux de ces métaux. Et surtout, il a montré que les terres rares peuvent être un outil politique surtout contrôlé par un pays : la Chine.

En effet, aujourd’hui, l’Union européenne est dépendante à plus de 90% de la Chine pour ses importations de terres rares : un chiffre énorme qui pose de graves problèmes stratégiques. En dehors d’un embargo (cas extrême), Pékin peut très bien utiliser les terres rares pour obtenir des concessions stratégiques ou augmenter artificiellement les prix. Elle pourrait aussi décider de ne plus vendre de terres rares que dans des produits finis : par exemple, si elle stoppe l’exportation de terres rares, elle peut tuer l’industrie des voitures électriques étrangères et ainsi imposer à ses partenaires commerciaux d’acheter des voitures électriques made in China. Face à une situation de dépendance addictive de l’Union européenne et de nombreux pays vis-à-vis de la Chine, difficile d’imaginer un monde où les pays occidentaux étaient non seulement auto-suffisants mais exportateurs de terres rares et pourtant, il a existé.

Comment en est-on arrivé là ?

Il y a 3 phases de domination sur le marché des terres rares : la première phase se déroule avant 1965 où les principaux producteurs étaient l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde mais la production était marginale. La 2ème est celle de la domination occidentale sur ce marché : entre 1965 et 1985, la majorité des métaux rares y étaient extraits et raffinés (aux États-Unis surtout mais en Europe également). Comprendre la bascule entre cette phase et la phase actuelle (celle de la dominance chinoise) peut se voir à travers 2 hauts lieux des terres rares : la mine de Moutain Corp aux États-Unis et l’usine Rhône Poulenc en France.

La mine de Moutain Pass était, de loin, la plus grande mine mondiale de terres rares dans les années 1970. Clé de l’autonomie stratégique en terres rares américaines, elle produisait des dégâts environnementaux considérables en rejetant de grandes quantités d’eau dans les bassins environnants (en 15 ans, on y a dénombré une soixantaine d’accidents). Suite aux inquiétudes des riverains et des autorités locales, les dirigeants de Molycorp (l’entreprise qui exploite la mine) se sont interrogés, à la fin des années 1990, sur la pertinence de rester aux États-Unis. Au même moment, la Chine émerge en faisant un dumping sur le secteur minier : des régulations environnementales inexistantes permettent à la Chine de produire des terres rares près de 2 fois moins chères qu’aux États-Unis... Face à la concurrence chinoise, la mine de Moutain Pass ferme en 2002.

La France a également subi des problèmes similaires avec son usine de Rhône-Poulenc. Dans les années 80, celle-ci assurait le raffinage de plus de 50% des terres rares produites dans le monde (il y a en effet 2 phases pour obtenir des terres rares : l’extraction où elles sont mélangées avec des roches et le raffinage/purification qui consiste à extraire les terres rares des roches). L’usine située dans la baie de la Rochelle avait consenti à d’importants efforts pour limiter les impacts de son activité mais le raffinage des terres rares étant une activité polluante par nature, l’usine émettait du thorium (un élément radioactif). Les riverains se mobilisant de plus en plus face aux risques que posaient l’usine, Rhône-Poulenc décide en 1994 de délocaliser ses activités en Chine... mettant ainsi fin au raffinage des terres rares en France et en Europe.

Un monopole chinois qui s’effrite

En 2010, date de l’embargo chinois sur le Japon, la Chine produisait près de 97% des terres rares dans le monde (pic historique), aujourd’hui, elle n’en produit « que » 65% environ à la sortie de la mine. Cette perte d’importance (relative tout de même puisque la Chine contrôle toujours près de 87% du raffinage) est liée au fait que de nombreux pays commencent à prendre conscience de l’importance clé de ces métaux : le premier d’entre eux étant le Japon. Depuis l’embargo de 2010, Tokyo s’est donné comme priorité de réduire sa dépendance à la Chine : important près de 90% de ses métaux de Pékin à cette période, le gouvernement japonais a développé de nombreux partenariats avec d’autres pays producteurs de terres rares et a ainsi réussi à ne dépendre aujourd’hui qu’à 58% de la Chine (tout en souhaitant atteindre une dépendance de moins de 50% pour 2025).

Les États-Unis sont également rentrés à nouveau dans la production de terres rares en réouvrant la mine de Moutain Pass en 2017 : ce sont maintenant les 2èmes producteurs mondiaux de terres rares avec 15% du total environ (mais la mine de Moutain Pass ne peut pas encore raffiner les terres rares et les envoient donc en Chine pour cela). L’Australie, quant-à-elle, s’impose comme 3ème producteur avec près de 6% du marché avec sa mine Mount Weld, exploitée par Lynas, un groupe au bord de la faillite il y a quelques années mais, porté à bout de bras par le Japon (et d’autres pays soucieux de diversifier leurs approvisionnements en terres rares), il ambitionne maintenant de contrôler 10 à 15% du marché mondial de production de terres rares. L’ensemble de ces projets montre qu’une diversification est possible avec une stratégie volontariste : le Myanmar et la Thaïlande possèdent aussi des mines de terres rares et de nombreux autres pays souhaitent aussi se lancer dans ce marché. L’Union européenne peut sembler sur ce coup en retard par rapport aux États-Unis ou au Japon mais elle a récemment pris des mesures pour améliorer son autonomie stratégique en terres rares.

Des ambitions européennes fortes… mais peu réalistes

De plus en plus de voix (dans les États membres ou à la Commission) se prononcent pour une une politique plus forte sur les terres rares. Le rapport sur les matières premières critiques de 2023 vise ainsi à :

  • miner 10% des besoins européens sur son sol (0% aujourd’hui)
  • raffiner 40% des terres rares qu’elle consomme (presque 1% aujourd’hui)
  • en recycler 15% (presque 0% aujourd’hui)

Des ambitions fortes... mais peu réalistes selon Edouardo Righetti (chercheur sur les ressources, l’énergie et le changement climatique au think tank CEPS, spécialisé sur les politiques européennes) qui les estiment « loin d’être faisables » (« nowhere near feasible »).

Pour le raffinage, il y a moins d’obstacles que pour le minage ou le recyclage mais vouloir raffiner 40% de terres rares en Europe en 7 ans reste extrêmement ambitieux et nécessite de forts investissements publics (Sebastien Meric, à la tête de la division terres rares de Solvay, estime que l’État devrait prendre en charge 40 à 50% du coût de l’usine de raffinage de Rhône-Poulenc en projet pour qu’elle soit rentable face à la Chine) et d’avoir du personnel qualifié dans ce domaine (ce que l’Europe a en partie perdu au profit de la Chine).

Quant à l’objectif de recyclage de 15%, il paraît encore plus lointain : selon WindEurope (association promouvant l’utilisation de l’énergie éolienne), dans un scénario optimum, près de 70 000 tonnes de terres rares pourront être recyclées d’ici 2023 soit... 0,75% des terres rares actuelles (bien loin des 1,5 millions de tonnes prévues par la Commission pour 2030). Malgré cela, même si le recyclage paraît l’objectif le plus difficile à atteindre (à moins d’une découverte technologique qui réduirait drastiquement le coût de recyclage des terres rares), il est possible d’augmenter de manière très forte la part de terres rares minées et surtout raffinées en Europe dans les prochaines années voire décennies à venir.

(Ré)ouverture de mines en Europe : des annonces en chaîne

L’ouverture ou la réouverture de mines de métaux stratégiques s’impose de plus en plus dans l’actualité européenne. Pour le lithium, la France a ainsi validé un projet de mine dans l’Allier (annoncée en octobre 2022 par Imerys, elle devrait ouvrir en 2028) et un projet d’Eramet est en cours en Alsace... le Portugal, qui dispose des plus grandes réserves du continent, a aussi validé 2 projets (qui devraient ouvrir en 2027). Au total, si les projets existants sont réalisés, l’Europe pourrait produire près de 55% du lithium qu’elle consomme (contre près de 0% aujourd’hui) selon le rapport « Metals for Clean Energy » de l’université belge KU Leuven (2023).

Il y a moins de projets de mines pour les terres rares mais, en janvier 2023, l’annonce de la découverte à Kiruna (Suède) du plus gros gisement de terres rares européens (avec près de 1,3 millions de tonnes estimées de terres rares, soit 1% des réserves mondiales) pourrait permettre à l’Europe une meilleure autonomie en termes d’approvisionnement de terres rares. Il est cependant difficile de savoir s’il est possible d’être auto-suffisant en terres rares car les études géologiques dans ce domaine ont été délaissées donc « beaucoup de données que nous avons sont dépassées, incomplètes, pas assez approfondies ou larges » comme nous l’affirme Rolf Kuby (directeur général d’Euromines, qui défend les intérêts de l’industrie minière européenne).

L’ouverture de mines ne suffit cependant pas : après l’extraction, il faut aussi pouvoir raffiner les métaux rares. En plus d’une usine de raffinage en Estonie, le groupe Solvay (qui possède maintenant Rhône-Poulenc) a prévu de rouvrir la division de raffinage des terres rares dans son usine de La Rochelle.

Des inquiétudes écologiques

Le 20 janvier 2022, la première ministre serbe Ana Brnabic annonce la fin du projet de mine de lithium (porté par le groupe Rio Tinto) dans son pays après des mobilisations écologiques de plusieurs semaines. L’exploitation minière a en effet de nombreux impacts environnementaux : en plus du fait qu’elle émette près de 8% des émissions de gaz à effet de serre mondiales (représentant 6,9% du PIB mondial), les militants écologistes dénoncent également ses impacts locaux sur l’eau ou la radioactivité. En effet, extraire des terres rares est particulièrement polluant : le processus nécessite de séparer le précieux métal rare des roches qui sont mélangées avec lui. Ainsi, en moyenne pour chaque tonne de terres rares extraite à la mine : 900 à 12 000 mètre cubes de gaz à effet de serre sont émis dans l’atmosphère, 75 mètres cubes d’eau sont utilisés et 1 tonne de déchets radioactifs est créée. Lors du processus de raffinage après l’exploitation minière, pour une tonne de certaines terres rares, près de 2000 tonnes de composés radioactifs comme l’uranium ou le thorium peuvent être émis dans le processus (évidemment, ils sont traités et deviennent des déchets nucléaires. Enfin, la fertilité des sols peut être impactée : en Chine, 90% des habitants de Hanjiang (une ville près des grandes mines de Baotou où sont extraits la plupart des métaux rares chinois) ont ainsi quitté la ville à cause de l’infertilité des sols provoqué par l’exploitation minière, rendant l’agriculture presque impossible.

L’exploitation de terres rares en Europe se veut cependant bien plus écologique. Tout d’abord, en terme d’émissions carbones, avoir une production de terres rares et de lithium en Europe contribuerait bien moins au réchauffement climatique que de l’avoir en Chine : ainsi, pour des métaux comme le silicone ou l’aluminium, l’Europe émet déjà moins de tonnes de CO² que la moyenne mondiale (respectivement 69% de moins et 59% de moins). Pour le lithium, avec les mines annoncées, l’Europe devrait émettre 71% de CO² en moins par tonne comparé à la moyenne mondiale. À cela s’ajoute également une diminution historique des émissions liées à la mine : depuis 1960, le groupe minier public suédois LKAB (qui a découvert le plus gros gisement de terres rares d’Europe) a diminué de 84% ses émissions de CO² par tonne. La forte consommation d’eau reste cependant toujours un problème pour les mines de terres rares, européennes ou non, ainsi, il pourrait y avoir des tensions entre des mines et des riverains pour la ressource en eau. Il est aussi possible que l’eau soit dégradée par des rejets de produits issus de l’exploitation de la mine : même si la directive cadre sur l’eau (DCE) le réglemente, il existe tout de même des possibilités d’accidents. Pour beaucoup d’écologistes, la biodiversité reste aussi une préoccupation majeure : l’UE impose ainsi de compenser ses effets. Cependant, certaines zones d’exploitation minières sont uniques, rendant la compensation difficile : les Sami (population autochtone dans la ville de Kiruna) s’inquiètent ainsi d’être à nouveau déplacés à la suite de la découverte du plus grand gisement de terres rares dans cette zone.

Une Europe indépendante en termes de terres rares est-elle possible ?

En plus de l’ouverture des mines, il existe d’autres solutions pour résoudre le problème d’approvisionnement en terres rares européen, il est ainsi possible :

  • d’améliorer le recyclage mais cela reste compliqué au vu du coût et de la difficulté technique de recyclage des terres rares
  • de faire des partenariats avec des pays stratégiques producteurs de terres rares : l’UE et l’Australie discutent actuellement de ce sujet pour un accord de libre-échange
  • d’acquérir des parts dans des mines de terres rares étrangères : c’est ainsi ce que la Chine a tenté de faire en vain pour de nombreuses mines australiennes
  • de substituer les terres rares dans certains produits : même si s’en débarrasser totalement est compliqué (la tétrataénite, un alliage fer-nickel, pourrait constituer un substitut intéressant à de nombreuses terres rares mais cela reste encore au stade expérimental), il est possible de ne pas les utiliser au prix d’une efficacité énergétique moindre (la Renault Zoé et certaines voitures Tesla n’utilisent ainsi pas de terres rares)
  • trouver de nouveaux moyens d’exploiter des gisements de terres rares sous l’océan mais le coût financier et surtout environnemental d’une telle entreprise serait énorme
  • enfin, la solution la plus écologique : faire preuve de plus de sobriété énergétique et donc consommer moins d’énergie

Le monopole chinois sur les terres rares n’est donc pas une fatalité et une autonomie européenne (au moins partielle) est possible dans ce domaine, cependant, elle impliquerait un fort investissement et pose la question de la (ré)ouverture des mines avec beaucoup d’incertitudes... une chose est cependant sûre : dans la transition énergétique et le développement du monde numérique qui s’annoncent, les terres rares ne laisseront personne indifférent.

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