Le Sommet de Reykjavik : Nouvel espoir du Conseil de l’Europe ? (²⁄₂)

, par Cyprien Bettini

Le Sommet de Reykjavik : Nouvel espoir du Conseil de l'Europe ? (²⁄₂)
Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, lors du sommet de Reykjavik (Islande). Crédits : Commission européenne

Le 16 et 17 mai derniers, les 46 dirigeants des Etats-membres du Conseil de l’Europe se sont rencontrés pour une réunion au Sommet à Reykjavik. L’objectif d’un tel Sommet était en premier lieu de trouver une réponse européenne à l’après-guerre en Ukraine. Cependant, au delà de l’Ukraine, c’est l’avenir du Conseil qui est discuté, à une période ou l’utilité de ce dernier est remise en question.

“Une nouvelle conscience européenne”

La guerre en Ukraine a agi comme un électrochoc pour le Conseil de l’Europe. Et pour cause, la Russie, qui posait problème depuis son adhésion, a transgressé délibérément les valeurs du Conseil. Face à cette violation évidente, les Etats membres se sont entendus pour l’exclure le 16 mars 2022 soit trois semaines après le début de l’invasion.

Cette décision très symbolique n’a malheureusement pas incité la Russie à retirer ses troupes, bien au contraire. Un an après l’invasion, l’Ukraine résiste encore contre l’envahisseur russe. Une action de la part du Conseil était donc nécessaire, voire même cruciale s’il voulait conserver sa crédibilité.

C’est donc pour cette occasion que le Conseil a décidé en novembre dernier de réunir un nouveau Sommet. La réunion d’un Sommet est un moment très solennel, au cours duquel les Etats membres s’engagent à poursuivre la défense des valeurs de l’organisation. C’est donc un moment important, mais rare. Jusqu’ici le Conseil n’avait réuni que trois Sommets, dont deux liés à l’intégration des anciens Etats soviétiques.

Réunir un Sommet dans de telles circonstances a donc une importance toute particulière pour le Conseil. Selon le Président du Comité des Ministres, l’irlandais Simon Coveney, il s’agissait de “renouveler la conscience européenne.” L’enjeux du Sommet était ainsi, dès le départ, de première importance. .

Pendant deux jours, les dirigeants européens ont enchaîné les débats généraux, les sessions de négociations et la rédaction de déclarations. A chacune de ses occasions, les dirigeants de tous bords ont pu présenter l’avancement et les engagements de leurs pays en matière de droits humains.

Cependant la déclaration phare de ce Sommet est la mise en place d’un registre des dommages de la guerre en Ukraine. L’objectif d’un tel registre est de collecter l’ensemble des dommages causés par la Russie envers les Ukrainiens et l’Etat ukrainien. A la fin du conflit, ce registre permettra de rendre compte des dégâts commis par la Russie après la possible constitution d’un tribunal spécial.

Il s’agit là d’un geste particulièrement fort. Même si l’annexe dans lequel est mentionné le registre n’a pas été signé par certains Etats, notamment la Hongrie ou la Turquie, le Conseil se place déjà comme l’un des chefs de file de l’après-guerre. Un après qui, espérons-le, se soldera par une réparation des torts commis par la Russie dans un esprit apaisé et bienveillant.

Redéfinir le rôle du Conseil de l’Europe

Au travers de ce registre, il ne s’agit pas pour le Conseil de manifester uniquement son soutien à l’Ukraine mais aussi de s’affirmer en tant qu’organisation défendant les droits humains. Et pour cause, le conflit, par les atrocités qui y ont été commises, a agit comme une remise en cause existentielle du Conseil de l’Europe.

Pour la première fois, deux Etats membres de l’organisation se sont livrés dans un conflit ouvert avec une intensité et une violence rarement précédées. Fondées sur le souvenir douloureux de la Seconde Guerre mondiale et sur celui de la reconstruction, il aurait été paradoxal que l’organisation n’agisse pas. Face à la remise en question de ses fondements, il lui fallait trouver une nouvelle impulsion.

On aurait ainsi pu penser que d’autres organisations allaient prendre le dessus mais ce n’est pas le cas. Chacune des organisations qui aspirent à défendre les droits de l’Homme le font en marge de leur mission principale. La récente Communauté politique européenne par exemple, se veut avant tout être un espace de discussions entre Chefs d’Etat et de gouvernement. Une sorte de G7 européen, en quelque sorte. Même chose pour l’OTAN et l’OSCE, les deux organisations se préoccupent davantage des enjeux de sécurité en Europe que de la défense des droits de leurs citoyens.

L’Union européenne à cet égard ne fait pas figure d’exception. A l’origine pensée comme un modèle d’intégration économique, l’Union n’a pu se prononcer dans un premier temps sur les questions des droits humains que par le biais des arrêts de la Cour de Justice de l’UE. Depuis cette période, et encore aujourd’hui, les juges de la CEDH et de la Cour de Justice de l’UE maintiennent des liens étroits permettant d’échanger leurs pratiques juridiques.

A ce titre, il est donc important de noter que l’Union européenne est très attentive aux travaux de la CEDH et du Conseil de l’Europe en général. C’est d’ailleurs pour cette raison que les dirigeants européens ont souhaité en 2007 l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’Homme. Et c’est aussi pour cette raison que les Président(e)s de la Commission et du Conseil européen étaient présents au Sommet pour représenter l’Union. Dans son discours, Ursula von der Leyen a tout particulièrement insisté sur les travaux engagés par l’UE pour s’aligner avec les politiques du Conseil, comme le démontre la très récente ratification de la Convention d’Istanbul par l’Union européenne.

Au-delà de l’Union européenne, il est également important de rappeler que tous les États européens ne font pas (encore) partie de l’Union européenne mais quasiment tous font partie du Conseil de l’Europe. Pour nous, citoyens des Etats membres de l’UE, le Conseil semble être un repère de fonctionnaires surpayés, mais pour les citoyens non communautaires, il s’agit de la seule institution capable d’inciter leurs gouvernements à avoir une pratique plus respectueuse de leurs libertés fondamentales.

En marge du Sommet, une réflexion s’est engagée pour améliorer la coopération entre le Conseil de l’Europe et les autres organisations continentales. Dans un récent rapport sur l’avenir du Conseil, l’auteur propose des pistes de solutions aux défis auxquels le Conseil fait face. Pour l’Union européenne, il désire créer un “groupe de liaison” notamment en vue d’aborder de manière plus régulière son accession à la CEDH. En ce qui concerne la Communauté politique européenne, il envisage de dessiner une articulation propre des compétences de la CPE et de sa relation avec le Conseil de l’Europe. Au travers de ce rapport, on découvre le souci du Conseil d’être lui-aussi en bons termes avec ses homologues européens.

Le Conseil reste ainsi une organisation pertinente en cela qu’elle est la seule à avoir pour mission principale la sauvegarde de l’Etat de droit et des droits humains en Europe. Malgré des frictions de plus en plus régulières, son action complète celle des autres organisations internationales. Vouloir mettre fin à son existence sous prétexte qu’il ne soit plus adapté aux enjeux actuels n’a donc pas de sens. D’autant lorsque l’on connaît les difficultés auxquelles il a dû faire face.

Une prémonition pour l’UE

La guerre en Ukraine a servi de piqûre de rappel à de multiples égards. Pour l’OTAN, il a souligné la nécessité d’une alliance de défense collective. pour l’Union européenne, la nécessité d’avoir un approvisionnement énergétique diversifié. Cependant, pour le Conseil de l’Europe, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque la fin d’une relation tumultueuse avec l’un de ses Etats membres le plus controversé.

Dès son intégration à la fin des années 1990, la place de la Russie au sein de l’organisation suscitait de nombreuses questions, si ce n’est des controverses. Elles ont été d’autant plus renforcées lors de la Présidence russe du Comité des Ministres en 2007. A l’instar de la Présidence du Conseil de l’UE, cette présidence est un processus tournant permettant aux Etats de présenter à tour de rôle les projets et priorités qui leurs semblent importants.

Dans un article de 2006, mon confrère Ronan Blaise soulignait déjà l’ambiguïté latente d’une telle position. Il faut savoir qu’à cette période la Russie du jeune Vladimir Poutine se livrait déjà à des pratiques militaires plus que douteuses. Mais le Conseil avait laissé faire, ne pouvant rien faire contre son plus gros contributeur au budget.

Face aux velléités à son encontre, le Président Vladimir Poutine avait signifié vouloir axer les priorités du Conseil autour de la culture européenne et de la réforme de la Cour Européenne des droits de l’Homme. Sans le dire explicitement, l’autocrate voulait déjà à cette période-là réduire l’influence de l’organisation.

Les critiques diront que le Conseil n’a rien fait pour empêcher la Russie d’accéder à cette fonction. Cependant, on pourrait aussi bien leur rétorquer que son arrivée ne s’est pas traduite par une réduction de son influence et de ses activités. Bien au contraire. Le Conseil a su démultiplier ses actions dans les années suivantes, notamment en mettant en œuvre une réforme en 2010 de son Assemblée des congrès et pouvoirs locaux.

Cependant, cet exemple ne doit pas nous satisfaire pour autant. L’Union européenne se prépare bientôt à vivre un cas similaire. Dans un an, ce sera au tour de la Hongrie (puis de la Pologne) de prendre la présidence du Conseil de l’UE. La présidence russe devrait agir comme un signal d’alarme sur ce qui pourrait se dérouler au sein de l’Union européenne, à savoir une tentative (plus ou moins réussie) de bloquer ses processus internes.

S’il y a déjà d’ores et déjà des tentatives d’éviction de Orban Viktor de la Présidence du Conseil de l’UE, on peut voir que les problèmes que l’on attribue facilement au Conseil sont en réalité partagés par toutes les organisations européennes. Pour (re)citer Alexander Wendt : “L’Europe est [aujourd’hui] ce qu’en font les Etats.” Tant que ces derniers ne s’engagent pas eux-mêmes pour agir pour plus de démocratie, nous ne pourrons pas attendre d’avancées significatives au niveau européen.

Avant de réfléchir à plus ou moins d’Europe, il convient ainsi de trouver un moyen pour remettre des pays tels que la Hongrie et la Pologne sur le chemin de l’Etat de droit. Pour cela, la société civile a un rôle majeur à jouer. En tant qu’organisation de citoyens, il est de notre responsabilité d’inciter les Etats à s’engager pour qu’ils respectent leurs engagements en matière de démocratie, d’Etat de droit, de respect de nos droits fondamentaux mais aussi de justice sociale et écologique.

Des organisations telles que le Conseil de l’Europe agissent depuis maintenant plusieurs décennies pour soutenir les initiatives citoyennes et particulièrement celles de la jeunesse. Alors sachons en retour investir ces institutions pour agir pour un futur plus juste, plus écologique et surtout plus démocratique. Ce n’est qu’en coopérant avec ces institutions que nous saurons faire prévaloir nos valeurs et celles du Conseil de l’Europe.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom